Mansuétude

Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, après avoir affiché une fermeté confinant à l’intransigeance concernant le couvre-feu à 23 heures pour ce mardi marquant l’entrée de l’équipe de France de football dans la compétition européenne, s’est fendu d’un télégramme à l’intention des préfets pour leur recommander d’appeler les forces de l’ordre à faire preuve d’une « particulière mansuétude » lors des contrôles à l’égard des supporters un peu couche-tard. Signe que les consignes viennent d’en haut, la ministre des Sports, Roxana Maracineanu, a suivi une trajectoire strictement identique.

Le regretté lexicologue Alain Rey, grand animateur du dictionnaire le Robert, n’étant plus là pour nous éclairer sur le sens des mots, je vais faire de mon mieux pour apporter quelques éléments au ministre, au cas où ils lui auraient échappé. La mansuétude nous vient directement du latin classique, « mansuetudo », qui signifie douceur de caractère. J’ignorais que la douceur fasse partie du programme de formation des forces chargées du maintien de l’ordre, mais je ne peux que me réjouir de cet état de fait, tout en regrettant que cette attitude bienveillante ne soit pas plus souvent utilisée. Il me souvient d’une manifestation pacifique où les participants, très jeunes, scandaient « on veut, des câlins et des bisous » sur l’air de « ce n’est qu’un début, continuons le combat », et les compagnons républicains de sécurité en face paraissaient perplexes en entendant cette langue étrangère. Si la doctrine du maintien de l’ordre a changé, il serait utile de faire connaître à ceux qui sont chargés de l’appliquer, au moins les rudiments de vocabulaire qui doivent encore échapper à bon nombre d’entre eux. Quand dans sa langue maternelle on n’a connu que des « individus » a priori hostiles, possédant parfois des « véhicules » dont ils doivent présenter les papiers « afférents », les mots compliqués comme la mansuétude sont ambigus, la pire des choses pour un gardien de la paix.

Le plus clair de l’affaire, c’est que la patate chaude atterrit dans les mains des hommes « de terrain » parce qu’en haut lieu on veut ménager la chèvre et le chou. Les policiers se voient attribuer le rôle d’arbitres, dans une partie où ils sont impliqués, et les justiciables compteront sur leur chance ou l’humeur de ceux qui les contrôleront en espérant qu’ils fassent preuve de clémence ou d’indulgence en proférant la formule magique : « ça ira pour cette fois ». C’est bien ce que l’on appelle couramment, l’arbitraire. Si le ministre s’est assigné la tâche d’enrichir le vocabulaire des fonctionnaires placés sous ses ordres, je lui suggère, en abandonnant toute pusillanimité, de promouvoir d’autres termes méconnus, tels que l’équanimité, ou la longanimité, voire la bénignité, toutes qualités qui ne sauraient faire de mal dans l’exercice des fonctions régaliennes.