Banalisation

La dernière insulte à la mode, c’est d’accuser autrui de « banaliser » le parti de Marine Le Pen et de préparer ainsi son accession au pouvoir, présentée comme inéluctable, à moins, bien entendu, de soutenir celui ou celle qui profère ce jugement définitif. Ce sera à qui prononcera l’éloge funèbre le plus dramatique d’un « front républicain » désormais mort et enterré, et d’autant plus sûrement que cette disparition satisfait ceux qui souhaitent, secrètement ou non, aller changer d’herbage.

Vous l’aurez compris, la situation est un brin emberlificotée. Aux dernières élections régionales, deux membres du parti des Républicains, Christian Estrosi et Xavier Bertrand, ont bénéficié du report des voix de gauche pour être élus présidents de leurs régions respectives, ce qui a privé les partis de ressources et de représentativité, sans véritable contrepartie malgré les promesses solennelles des bénéficiaires de les associer à la direction des régions concernées, Hauts-de-France et PACA. Les dindons de la farce précédente n’ont pas tous l’intention de se sacrifier à nouveau, et surtout leur électorat ne suivra pas nécessairement les consignes de vote qui lui seraient données. Car le mécontentement envers le gouvernement, même si la cote du président se maintient, est réel. Et c’est cette déception qui alimente le vote Rassemblement national, additionné à l’atomisation des partis traditionnels de gauche comme de droite.

Ce qui est plus inquiétant encore, c’est de constater que le parti de Mme Le Pen a réussi à imposer ses thèmes dans le débat public et à amener les autres formations politiques sur son terrain, la sécurité et l’immigration, savamment amalgamées par le ciment de l’anti-islamisme. La porosité entre la droite et l’extrême droite n’est plus à démontrer, comme l’indiquent les vestes interchangeables de leurs représentants, surtout dans le sud de la France, où chacun cherche son profit personnel, sans s’occuper des étiquettes. Quant au pouvoir macronien, il feint de combattre le Rassemblement national, mais il le cautionne et le légitime également en en faisant son adversaire privilégié, persuadé que le « plafond de verre » le protègera éternellement de la défaite. Emmanuel Macron est visiblement prêt à pactiser avec le diable pour se maintenir, quoi qu’il en coûte aux Français. Pour lui, c’est quitte ou double et il n’hésite plus à adopter le vocabulaire déjà utilisé par son ministre de l’Intérieur en évoquant « l’ensauvagement » des discours sur les réseaux sociaux, un terme traditionnellement utilisé par l’extrême droite pour stigmatiser l’immobilisme du pouvoir. Ce qui amène les observateurs à penser que la campagne présidentielle, déjà lancée sans le dire officiellement, va tourner encore et toujours autour des questions de violence et que celui ou celle qui incarnera le plus la capacité à y faire face en sortira vainqueur. Soyons honnêtes, ça fait peur.