Non mais allo quoi

Souvenez-vous, c’était en 2013, autant dire il y a une éternité, qu’une candidate de ce qu’il est convenu d’appeler la téléréalité, bien qu’il n’y a pas plus de réalité dans ces fictions soigneusement scénarisées diffusées à la télévision que de beurre en broche, énonçait cette formule devenue culte : « t’es une fille, t’as pas de shampooing ? non, mais, allo quoi ? » Si la formule peut encore prêter à sourire, de peur de devoir en pleurer, elle rappelle à quel point le téléphone est devenu le compagnon des jeunes, comme un accessoire indispensable.

Il peut même sauver des vies. Soit en servant de balise de détresse pour les imprudents aventurés dans des situations dangereuses en montagne par exemple. Soit, et c’est plus important, en se signalant comme victime potentielle d’un mari ou d’un compagnon violent. C’est le but d’une invention, à la fois simple et géniale, qui nous vient d’Espagne, le téléphone grave danger. La femme menacée qui en est équipée peut alerter les services compétents en appuyant simplement sur une touche unique. Formidable ! le problème est donc résolu ou en voie de l’être ! alors comment se fait-il que de nouveaux faits divers se produisent toujours, notamment la mort de Chahinez Boutaa, tuée par son mari à Mérignac en mai dernier dans des circonstances atroces ? C’est qu’il y a loin dans notre pays des intentions aux réalisations. Après une phase d’expérimentation, le téléphone grave danger a été « généralisé » sur l’ensemble du territoire, soit un potentiel de 1234 appareils à disposition des magistrats, mais je me suis laissé dire que seule une cinquantaine de ces téléphones était réellement en service actuellement. Ce qui n’a pas empêché de déplorer une centaine de féminicides sur la seule année 2020.

Car l’attribution de ces téléphones est très encadrée et souffre de lenteurs administratives. Sans compter les nombreux obstacles au dépôt de plaintes, matériels ou psychologiques. Comme souvent en France, la nouvelle ministre en charge du dossier, Élisabeth Moreno, dont la bonne volonté n’est pas en cause, a promis d’empiler des mesures, portant à 3 000 le nombre de téléphones disponibles, et instaurant un fichier des auteurs de violences pour enrayer la récidive. Il y aura aussi des bouts de ficelle pour améliorer la concertation et la coordination entre les acteurs, police, justice et secteur associatif. Mais de nerf de la guerre, point. La ministre prétend n’être saisie d’aucune demande dans ce sens et indique que le garde des Sceaux a déjà augmenté le budget de la justice de façon très conséquente. On sait ce que cela veut dire. S’il y a un domaine où le « quoi qu’il en coûte » serait justifié, c’est bien celui-là, avec deux fois moins de magistrats en France qu’en Allemagne, pour ne prendre que ce critère. Mais la ligne avec l’Élysée semble coupée.