Perdu grand frère, récompense

C’est agaçant. Au fur et à mesure que j’avance en âge, des figures familières disparaissent, parfois même sans que j’en sois prévenu. Longtemps après Coluche, c’est Romain Bouteille, un de ses acolytes, qui tire sa révérence. À eux deux et grâce au talent de quelques autres à qui ils avaient donné leur chance, ils ont fabriqué le café-théâtre. D’abord près de Montparnasse, puis dans le Marais, le Café de la gare a fait les beaux jours d’une nouvelle forme de spectacle, aux antipodes tout à la fois du théâtre classique et du boulevard.

Ceux qui ont eu la chance de se frotter à cette forme, nouvelle à l’époque, en sont restés baba, moi le premier. Au fond de l’impasse où l’on faisait la queue, le spectacle était déjà dans la rue. Un bateleur de la troupe vous faisait tirer au sort le prix de votre entrée en tournant une grande roue, bien avant celle de la fortune popularisée par la télé. Avec un peu de chance, vous pouviez même entrer gratuitement. Dans les gradins du théâtre de poche en forme d’amphithéâtre, toutes les places étaient démocratiquement et également inconfortables. On avait mal aux fesses bien avant le début du spectacle, et ce n’est qu’un bon moment après que le maître des lieux, le génial Romain Bouteille, s’adressait au public en faisant semblant de découvrir que la régie avait « oublié » de distribuer des coussins pour atténuer un tant soit peu l’inconfort des sièges. Nous nous faisions royalement engueuler pour notre passivité et notre déficit de revendication. Avec sa façon caractéristique de mâcher ses mots, il nous reprochait de nous laisser faire tandis qu’un filet rempli de coussins débarquait du « paradis » et que la troupe bombardait joyeusement le public dans une sorte de bagarre de polochons soigneusement improvisée.

Romain Bouteille écrivait ses spectacles et les comédiens contribuaient à leur fabrication avec une large place laissée à l’improvisation. Il y avait pas mal d’humour potache, comme dans ce sketch où une soi-disant infirmière nommée Paulette était invitée à pousser fortement l’escarre qui gênait tant le malade alité, pour placer en guise de chute la chansonnette : « poussez, poussez, l’escarre, Paulette » inspirée par l’opérette Véronique. Mais si l’on riait de bon cœur et sans culpabiliser, on vivait aussi des moments d’émotion absolue comme dans ce dialogue poignant où Romain Bouteille tentait de réconforter un garçon inconsolable de la mort de son amoureuse dans un accident. J’ai malheureusement oublié le nom de ce comédien, mais il en est passé tellement dans ce creuset révélateur de talents qu’il est difficile de les retenir tous. Ce qui touchait tant dans les créations de Romain Bouteille, c’est qu’on avait le sentiment qu’il n’y avait pas d’écart entre ce qu’il disait et ce qu’il était. Il était vrai, tout simplement, et ça devient de plus en plus rare.

Commentaires  

#1 jacotte 86 02-06-2021 12:11
je considère comme une chance de l'avoir "rencontré" et d'avoir partagé ses coussins 50ans après on s'en souvient encore!!! je partage ta tristesse de sa disparition.
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