Martyrs contre martyrs

Pour le commun des mortels, la Commune de 1871 est un mouvement révolutionnaire qui a brièvement fait trembler le pouvoir en place avant d’être réprimé sauvagement et noyé dans le sang par Adolphe Thiers, non sans avoir fait émerger quelques idées et quelques personnalités, dont la figure de Louise Michel, pasionaria du mouvement avant Dolores Ibarruri. Pour une petite fraction de l’Église catholique, l’évènement majeur qu’a constitué la Commune de Paris, et dont nous célébrions le 150e anniversaire cette année, se résume au triste sort d’une cinquantaine d’otages, exécutés par des communards jusqu’au-boutistes, ou par la foule en colère, dont l’archevêque de Paris, Monseigneur Darboy.

Depuis 1880, les héritiers de la Commune, à l’appel des organisations ouvrières et leurs sympathisants, ont pris l’habitude de se rendre au « mur des Fédérés » dans le cimetière du Père-Lachaise, là même où 147 communards ont été exécutés et enterrés à la fin de la « semaine sanglante ». De leur côté, les catholiques, qui ont érigé l’église Notre-Dame des Otages sur les lieux de la mort de ses religieux, ont consacré la semaine à commémorer leur lecture des évènements et prévu un cortège depuis le square de la Roquette jusqu’à l’église. Et ce qui devait arriver arriva. Les deux défilés se sont croisés, et, au lieu de s’éviter, se sont affrontés devant un service d’ordre minimaliste et apparemment peu concerné. Si l’on en croit le site Internet de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X (FSSPX actualités), une organisation traditionaliste, voire intégriste à l’intérieur de l’église, les enragés anarchistes se sont rués sur les chrétiens pacifiques, les bousculant, arrachant leurs bannières avant de les piétiner, faisant tomber des sexagénaires et les obligeant à trouver refuge dans une église, tandis que la foule hurlait ses slogans, tels qu’« à bas la calotte » ou « à bas les Versaillais » en souvenir des bataillons de soldats loyalistes au service du pouvoir.

Était-il vraiment indispensable de laisser se dérouler ces deux manifestations sans se préoccuper de leur parcours ni anticiper leur rencontre probable ? Le covid 19 a donc cessé de justifier toutes les restrictions aux libertés qui ont permis d’interdire les rassemblements jugés inopportuns par le gouvernement ? Les organisateurs du défilé religieux ont affirmé user de leur droit à la liberté de pratiquer leur culte, ce qui est pour moi un abus de langage, la liberté de culte n’étant nullement menacée en l’espèce, mais l’intention provocatrice probable. En effet, lors du centenaire de la Commune, en 1971, les cérémonies religieuses avaient été plus discrètes. Cinquante ans plus tard, la société s’est encore plus droitisée, les « tradis » sont plus actifs que jamais, et le pouvoir verse de l’huile sur le feu.