Y penser toujours

N’en parler jamais. Cette phrase de Gambetta, prononcée en 1871, s’appliquait à la question épineuse de l’Alsace et de la Lorraine, perdues à la suite de la guerre avec l’ennemi prussien. Elle pourrait aussi résumer la situation ubuesque de l’enseignement des langues régionales, affaibli par la censure du Conseil constitutionnel d’une loi qui visait à le renforcer. Selon les « sages », l’enseignement dit immersif pratiqué dans les écoles Diwan en Bretagne et d’autres en Occitanie ou au Pays basque serait contraire à la Constitution qui consacre le français comme langue de la République.

Ce système d’enseignement est pourtant pratiqué depuis des dizaines d’années à la satisfaction de ses utilisateurs et sans que le niveau général de pratique du français en soit diminué, peut-être même au contraire. Nous n’en sommes plus à l’époque de la naissance de la Troisième République où les instituteurs étaient investis du rôle de hussards noirs. Si des tentations séparatistes existent, elles ne sont pas à rechercher du côté des régionalistes. Il y a bien longtemps que les militants des causes autonomistes ont renoncé à la lutte armée et la République n’est plus menacée d’éparpillement. Nous sommes passés d’un fonctionnement où les langues régionales, souvent qualifiées de patois, étaient traquées sans merci, à la reconnaissance de leur intérêt et leur élévation au rang de patrimoine culturel. La loi présentée par le député du Morbihan était supposée entériner ce changement de mentalité en reconnaissant l’utilité et la richesse de cet enseignement. Le parlement avait approuvé largement ses dispositions et le président de la République lui-même s’était prononcé en faveur de cette loi.

On peut le vérifier pratiquement à chaque évolution importante de la société sur les sujets les plus divers : le fait précède toujours le droit. En voulant sécuriser l’existence des écoles en langues régionales, la loi Molac a réveillé de vieilles tendances jacobines, alors que des progrès existent depuis longtemps dans la double signalétique par exemple, et que la loi Toubon de 1994 a été modifiée pour ne pas faire obstacle à l’usage des langues régionales tout en défendant la francophonie. La proposition de loi était donc largement consensuelle, si l’on exclut la position du ministre de l’Éducation, qui préfère le bilinguisme à l‘immersion, bien qu’il se déclare soutien des langues régionales. Avec des amis comme lui, les écoles régionalistes n’ont pas besoin d’ennemis. L’affaire pourrait paraître anecdotique si ce n’est que les écoles menacées pour non-conformité avec la constitution pourraient perdre le bénéfice de la prise en charge financière des enseignants par l’état prévue par le contrat qui lie ces établissements à la République. À terme, ce serait la fin de cet enseignement, qui franchement ne fait de tort à personne et perpétue une culture qui est une vraie richesse.