Crise

C’est une période de tension potentiellement conflictuelle, ou encore une situation de déséquilibre grave ou de rupture préoccupante, par nature polysémique, qu’il ne faudrait pas réduire au sens économique, d’où le pluriel « crises ».

Il y a celles qui rendent compte du développement d’un individu, la crise de l’adolescence, la crise de la quarantaine, la crise de la vieillesse, ou de son état physiologique, crise de foie, crise de goutte, crise de nerfs, crises de larmes… les crises structurelles, climatiques, politiques, sanitaires, économiques, sociales… (j’y reviendrai sûrement).

Pour mieux toutes les comprendre, revenons aux origines.

Crise vient du mot krisis, qui vient de krinéum passé au crible, moment décisif dans l’évolution d’un processus incertain, de nos jours c’est devenu une indécision en même temps qu’une perturbation ouvrant sur des incertitudes.

La métaphore médicale (applicable dans notre actualité) nous donne un éclairage incontournable. Déjà évidente chez le médecin du Ve siècle, krisis est le point crucial d’une maladie, le moment précis où tout peut dévier vers le pire ou le mieux vital, il faut que le médecin sache la repérer, la laisser se développer à son rythme pour intervenir au moment exact. C’est un instant difficilement saisissable, avant d’atteindre la paisible assurance de la science, il faut passer par les incertitudes de la recherche.

Mieux encore avec Aristote, pour lui, la crise passe au crible les hommes et les jugements par lesquels les hommes distinguent ce qui est bien ou mal. Une crise est ce qui révèle, juge, la nature humaine, et en même temps révèle la fragilité des jugements qui organisent la société en dehors des moments de crise. C’est donc un moment de bascule où tout peut s’orienter vers le bien ou vers le mal, ce sont « des jours critiques » où il faut décider de ne pas laisser les jours décider pour nous.

Il a lui-même connu « la crise des idées » dans sa rupture intellectuelle et amicale avec Platon. Il a été témoin de la « crise politique » avec la fin de la démocratie d’Athènes, le philosophe arrive, dit-il, quand tout est fini, la démocratie dégénère en tyrannie quand la démagogie vient à la dominer. Témoin aussi de « la crise artistique » à travers le changement de la musique, qui pour lui joue un rôle majeur dans l’éducation du citoyen, et un régime dégénère quand sa musique dégénère !

Dans son livre « les politiques » il propose comment sauver le pouvoir du peuple par le peuple pour le peuple, en une alternance équilibrée entre gouvernants et gouvernés.

Un monde imparfait est un monde que nous avons la liberté de parfaire, c’est parce que notre monde échappe à une logique marquée par la nécessité, que nous pouvons agir sur lui. Nous savons que nous vivons et apprenons à vivre dans un monde imparfait.

La crise est un état permanent de l’humanité, confronté à la gestion du risque en situation d’incertitude (à consommer avec modération !)

C’est parce que ce monde malade est sujet à toutes sortes de pestes, brunes ou sanitaires, que peuvent agir sur lui les médecins, les politiques, les artistes, les philosophes, qui mettent en lumière ses imperfections et parallèlement montrent la possibilité pour les hommes de ces temps où règnent les tempêtes, de les rendre vivables.

 

L’invitée du dimanche