Le changement dans la continuité (suite)

Plus de 50 ans après mes débuts d’enseignante, des changements notables sont apparus dans le système scolaire français. La cause première étant une forte croissance des naissances, provoquant une évolution démographique allant de pair avec une croissance économique, illustrée par les « 30 glorieuses »

La prolongation de la scolarité à 14 ans, puis à 16 ans en 1959, la loi Haby de 1975, qui a mis tous les élèves sortant du CM2 dans les sixièmes de collège (lesquels collèges ont vu leur statut changer de cours complémentaires en cours d’enseignement général) a conduit au changement de niveau d’études des enseignants, au départ niveau licence, puis… (voir le premier billet)

Les enseignants sont toujours en nombre insuffisant, dans les années 70, l’État faisait appel alors à des instituteurs-remplaçants, nantis du baccalauréat, après une formation fantôme, sous-payés, au bout de cinq ans, munis d’un CAP, ils devenaient enfin titulaires, souvent considérés comme des sous enseignants n’étant pas passés par l’école normale.

 Aujourd’hui, pour pallier le manque, l’État a recours à une liste complémentaire… les recrutés travaillent en binôme par cycle de trois semaines en stage pratique, ou recrute des enseignants contractuels par concours spéciaux ! Ils sont « une variable d’ajustement », lancés sur le terrain sans formation !!!

Cette formation professionnelle jugée insuffisante en école normale, une fois confiée aux universités, fait 63 % de mécontents, car trop théorique, côté pratique assuré par des « professeurs hors-sol » ! 3 % des formés démissionnent !

La création de la carte scolaire a aussi changé le profil des classes, son rôle étant de créer une mixité sociale, au grand dam de certaines familles déplorant cette même mixité, qui les conduit parfois à choisir l’enseignement privé.

La petite guerre anticléricale des années 70, où l’enseignement privé était un enseignement de défense d’une idéologie particulière, entretenue par la loi Barangé, donnant une allocation à tout élève, quelle que soit l’école fréquentée, s’est éteinte avec la loi Debré de 1959, permettant aux écoles privées d’être contractuelles avec l’État. C’est devenu une guerre commerciale, l’enseignement privé devenant un enseignement complémentaire de l’enseignement public, un peu déloyal car ne respectant pas la carte scolaire ! Les chiffres parlent, 17 % de la totalité des effectifs scolaires se retrouvent dans les 8 000 établissements privés catholiques, ou les 300 établissements juifs ou les 20 % d’établissements musulmans. Ce pourcentage monte à 21 % pour les collèges.

Un coup d’œil rapide vers l’enseignement secondaire, où le nombre de bacheliers est passé de 20 % à 79 % d’une classe d’âge, et vers l’enseignement supérieur où l’on est passé de 600 000 à 7 millions d’étudiants…

Le concept de laïcité cher à Jules Ferry a considérablement évolué et mériterait un billet à lui tout seul, la neutralité de l’État, des organismes religieux, et des fonctionnaires depuis la loi de 1983 reste son socle à faire respecter !

L’image des enseignants aussi a changé, autrefois édiles dans leur village, souvent secrétaires de mairie, associés à la vie locale, leur fonction est dévalorisée par la société, on sous-estime leur temps de travail, et leurs difficultés matérielles de pratiquer… Si on ajoute le danger, réel, qu’ils affrontent pendant cette pandémie avec un ministère de tutelle rétrograde, on comprend que beaucoup démissionnent, même après sept ans de fonction… pourtant on n’a jamais eu autant besoin d’eux, piliers d’une école publique indispensable à la genèse d’un projet de société plus égalitaire !

 L’invitée du dimanche