Et s’il me plait d’être voilée ?

J’ai appris avec une certaine surprise que des femmes afghanes avaient manifesté à Kaboul en faveur des Talibans. Réunies dans un amphithéâtre, vêtues pour certaines de la burqa qui ne laisse paraitre que les yeux, derrière une grille protectrice, portant parfois des gants noirs pour cacher leurs mains, elles ont applaudi les oratrices venues dénoncer leurs compatriotes femmes qui ont osé défier le pouvoir en défilant dans les rues pour protester contre les restrictions de liberté, l’impossibilité pour les filles pubères d’aller à l’école, l’interdiction faite aux femmes de sortir sans un chaperon, un homme de la famille, père ou frère.

Curieusement, leur manifestation favorable aux Talibans a été autorisée alors que les protestataires ont été interdites. Elles ont même pu défiler dans les rues avec des pancartes clamant leur allégeance aux carcans qui leur sont imposés et qui seront de plus en plus stricts avec le temps. J’ai pensé évidemment au médecin malgré lui, quand la soubrette, Martine, femme de Sganarelle, s’en prend à Monsieur Robert qui avait voulu la défendre après que son mari l’ait consciencieusement battue. Car nous avons aussi vu des femmes, en France ou ailleurs, défendre le port du voile en prétendant exercer ainsi leur liberté. De leur point de vue, elles n’ont pas l’impression de céder à une exigence imposée de l’extérieur, mais de suivre une règle acceptée de leur plein gré. Il existe des descriptions dans la littérature psychologique qui se rapprochent de cette attitude. La plus connue est généralement désignée sous le nom de syndrome de Stockholm, en référence à une affaire de prise d’otages au cours d’un braquage de banque à Stockholm qui avait duré plusieurs jours. Les otages avaient refusé de porter plainte contre les braqueurs, car des liens s’étaient noués entre les victimes et leurs « bourreaux ». D’ailleurs, une des otages avait fini par épouser un des bandits, qu’elle avait visité régulièrement en prison. Car, on le sait moins, l’attraction fonctionne dans les deux sens.

Un autre mécanisme est connu comme l’identification à l’agresseur. Placée dans une situation difficile, la victime n’a parfois d’autre choix que de se ranger du côté de celui qui l’agresse en devenant agresseur elle-même et en se cherchant une victime de substitution. Il me semble que ce mécanisme de défense, étudié par Anna Freud, a quelque chose à voir avec l’attitude de ces quelques femmes afghanes qui se rangent du côté du pouvoir en prétendant adhérer pleinement aux règles des barbares, et qui se pénalisent elles-mêmes. Quant à celles qui ont le courage physique et moral de s’opposer à ceux qui veulent leur imposer une loi d’un autre âge, je leur tire mon chapeau, mais je crains que leur nombre soit rapidement réduit à peau de chagrin, qu’elles soient emprisonnées, ou pire encore.