Le bouton de guêtre

L’expression a survécu à l’objet. Si plus personne ou presque ne porte cette protection, on emploie encore l’expression « il ne manque pas un bouton de guêtre » pour signifier que tout est en ordre et que l’on ne risque pas d’être pris au dépourvu. Après nous avoir affirmé que toutes les mesures avaient été prises pour éviter que le coronavirus puisse se répandre sur le sol national, les autorités sanitaires de notre pays, par la bouche du tout nouveau ministre de la Santé, que l’on espère frais et pas encore moulu si vous me passez cet à-peu-près, ont fait savoir que la France était prête à combattre une épidémie passée de possible à probable.

La détermination du ministre, qui se veut rassurant, pourrait bien produire l’effet inverse de celui recherché. Rappelons que c’est en 1870 que le maréchal Lebœuf se vantait de pouvoir tenir une guerre longue de deux ans sans que l’armée vienne à manquer de quoi que ce soit, y compris d’accessoires aussi secondaires que des boutons de rechange pour les guêtres. Cette affirmation guerrière a néanmoins été démentie par les faits, avec la défaite de Sedan puis la Grande Guerre de 14-18, certes gagnée finalement par les alliés, mais au prix de terribles pertes. C’est d’ailleurs pour éviter la répétition de ce désastre que la France a construit à la fin des années 20 la célèbre ligne Maginot, qui était supposée empêcher l’invasion éventuelle de la France par la Belgique. On sait comment les nazis, mauvais joueurs, ont contourné l’obstacle et réalisé la percée des Ardennes.

Toutes ces métaphores militaires devraient nous inciter à la prudence et à la modestie quant à nos capacités à empêcher la propagation de l’épidémie de cet ennemi rebaptisé Covid 19 pour tenter de l’exorciser, tant il est vrai qu’il est plus facile de combattre un adversaire clairement identifié. Autant il paraissait imaginable de contrôler un nombre limité de porteurs éventuels du virus en les assignant à un isolement de 14 jours abusivement nommé quarantaine, autant il semble impensable de fermer les frontières pour empêcher la libre circulation de la maladie, certes, mais aussi des biens et des personnes, sur laquelle l’économie mondiale est fondée. Les conséquences commerciales des premières mesures, limitées, sont déjà très importantes et la croissance des pays industrialisés en sera affectée durablement. Après avoir contrôlé les Chinois, puis les pays asiatiques proches de l’épicentre, et un peu plus éloignés, nous voici avec des foyers d’infection qui se rapprochent dangereusement, comme le nord de l’Italie, dont on ignore pour l’instant à peu près tout des voies de propagation. Alors, nous sommes prêts, et même archiprêts, mais nous ne maîtrisons rien, ou si peu.