Tomber la chemise

Cette chanson du groupe toulousain Zebda a connu son heure de gloire dans la foulée de la victoire de la France à la coupe du monde de football organisée dans notre pays en 1998. L’euphorie générée par ce succès sportif a touché pratiquement toutes les strates de la population. Le président de la République, Jacques Chirac, pourtant peu connaisseur en sport en général et en football en particulier, accompagnait le mouvement et bénéficiait d’une embellie de sa popularité bien qu’il ne soit pas pour grand-chose dans cette réussite.

La France célébrait une sorte d’état de grâce. Son équipe symbolisait un pays « Black Blanc Beur » largement imaginaire, où les différences étaient gommées par un sentiment d’appartenance à une même communauté. Même ceux et celles qui n’aimaient pas le foot étaient gagnés par ce sentiment de fierté nationale et Zinédine Zidane devenait la personnalité préférée des Français, réconciliant les anciens adversaires et donnant un droit de cité à la communauté d’origine maghrébine, longtemps reléguée dans les quartiers périphériques. C’est sur ce terreau que prenait racine la chanson dans laquelle les Toulousains de Zebda annonçaient leur intention de se retrousser les manches pour se sortir d’affaires. Leur clip les représentait d’ailleurs en déménageurs, qui rencontraient un certain Djamel Debbouze incarnant un gardien d’immeuble récalcitrant.

Si le groupe a fait l’unanimité sur les planches avec un million d’albums vendus, il n’en est pas moins engagé et militant. Dès 1995, il sort « le bruit et l’odeur » en référence aux déclarations scandaleuses de Jacques Chirac sur les populations immigrées. En 2001, il sera à l’origine de la liste « motivés » en lice aux municipales de Toulouse. Leur chanson phare trouve un héritage inattendu avec le mouvement actuel de protestation contre le projet de réforme des retraites. Ce sont les avocats, qui, les premiers, ont décidé de « tomber la robe ». À Quimper, ils les ont accrochées aux grilles du Palais de Justice. À Nancy, c’est à la balustrade de la salle des pas perdus qu’ils les ont suspendues. Et à Caen, ils ont profité de la venue de Nicole Belloubet, la ministre de la Justice, pour jeter l’insigne de leur fonction à ses pieds en signe de protestation.

Cette forme d’action est en passe de faire tache d’huile. Dans plusieurs hôpitaux, ce sont les blouses blanches des médecins qui ont été jetées à terre. D’autres professions pourraient suivre le mouvement, car rien n’est plus iconoclaste que de quitter les attributs de sa fonction. L’exemple ultime étant la provocation des Femen qui vont jusqu’à inscrire leurs slogans à même la peau pour être sûres d’attirer l’attention des médias et du public. Si seulement ce dépouillement inspirait les puissants qui prennent les décisions sans se soucier des conséquences tant que leur avenir personnel est assuré.