Sus aux arrêts de travail

La suspicion n’est pas nouvelle, mais elle a tendance à s’amplifier, en même temps que les dépenses de l’Assurance maladie, qui prend le relai quand le salarié est dans l’incapacité de fournir la quantité ou la qualité du travail pour lequel il est payé. Des sommes considérables sont en jeu. Près de 16 milliards par an sont ainsi versés par la Caisse Nationale de l’Assurance Maladie. La tentation est grande de chercher des économies en réduisant une supposée fraude des bénéficiaires avec la complicité des médecins. Il existe déjà un corps de médecins chargés de vérifier la pertinence des prescriptions, mais, peu nombreux, ils ne procèdent que par sondages.

Les derniers gouvernements, mêmes éphémères, ont cherché constamment à minimiser ces dépenses, en partant du principe que les salariés étaient des fraudeurs en puissance et que les médecins étaient trop laxistes pour refuser un arrêt de travail et s’opposer aux demandes des patients. On entend de temps en temps sur les antennes de radio un spot publicitaire dont le dialogue entre deux salariés illustre bien le propos. Le premier se confie sur son intention de se mettre en arrêt, tandis que le deuxième, moralisateur, lui rappelle que la règle est de consulter un médecin, qui, seul, peut en décider. Il s’agit de dissuader le patient de demander un arrêt, alors qu’il est le mieux placé pour juger de sa fatigue. Le « client » peut même être de mauvaise foi, et la CNAM a décidé de revoir la sécurité des formulaires papier pour éviter des escroqueries caractérisées. Les médecins sont aussi dans le collimateur. Les mauvais élèves, trop prescripteurs, sont mis sous tutelle et sommés de diminuer le nombre d’arrêts en suivant des objectifs chiffrés, comme au bon vieux temps où Sarkozy imposait « la politique du chiffre » pour tenter de faire baisser l’insécurité.

C’est ainsi que 500 médecins généralistes vont être surveillés, et invités à diminuer leurs actes de 20 % en moyenne, pour rentrer dans les objectifs fixés nationalement. Tollé dans la profession, naturellement, pour cette remise en cause de la déontologie et même de l’honnêteté des praticiens visés. De l’aveu même de la CNAM, une campagne similaire avait permis d’économiser 160 millions d’euros seulement sur 2 ans, démontrant ainsi que le plus gros de l’inflation des dépenses est lié à d’autres facteurs. Hausse des indemnités journalières, vieillissement de la population active, qui s’accroît mécaniquement, conditions de travail dégradées favorisant le « burn out ». Sans oublier l’augmentation exponentielle des affections de longue durée, preuve à la fois des progrès de la médecine et de l’exposition à des facteurs de risque en croissance. Les médecins de ville sont au carrefour de toutes ces problématiques et dans leur immense majorité font leur travail en conscience dans des conditions souvent difficiles. L’attitude suspicieuse de l’état en est indigne.