Empathie ou compassion
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- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le samedi 2 novembre 2019 09:33
- Écrit par Claude Séné
Jeudi 24 octobre, Sonia Devillers recevait le photographe iranien Reza Deghati dans son émission sur France Inter, l’instant M, où elle décrypte l’actualité des médias. Visiblement très émue, à la fin de l’entretien, elle lui pose une question très personnelle et très directe sur le lieu où il souhaiterait être enterré. Elle fait ainsi allusion à une photo montrant une situation très spéciale pour son invité, enterrant l’un de ses proches au Père-Lachaise en 1981 en arrivant à Paris, alors que l’Iran est passé sous l’autorité de l’ayatollah Khomeini.
Submergée par ses émotions, la journaliste est au bord des larmes, entrainant avec elle le photographe, lui aussi très touché, cependant que la présentatrice qui s’apprête à faire le flash de 10 heures observe la scène, médusée mais visiblement inquiète. Cela m’a ramené une trentaine d’années en arrière lorsque je suivais une formation de psychologue scolaire. Nous étions naturellement confrontés à une pratique réelle, encadrée et contrôlée, auprès d’enfants en difficulté, et à ce titre, nous étions amenés à rencontrer les parents de ces enfants. La grande question qui avait été soulevée par l’un d’entre nous était de savoir si « nous faisions pleurer les mères ». De cette enquête improvisée, et sans portée statistique, il ressortait que certains suscitaient fréquemment les pleurs des mamans, alors que pour d’autres, cela ne se produisait jamais. J’observais que j’appartenais à la deuxième catégorie et au long de ma carrière ces situations n’ont pas été courantes non plus. Il me semble que je dois plutôt m’en féliciter. Je ne pense pas que cette attitude soit seulement un effet de la nécessaire distance entre la personne aidante et la personne aidée, bien que cela soit à mon avis une condition de l’efficacité. Il n’y a pas d’indifférence dans cette démarche, et au contraire, la notion d’empathie, de capacité à se mettre à la place de l’autre est primordiale. Ce qui n’empêche pas de regarder la vérité en face.
Si l’on provoque, parfois à son corps défendant, un apitoiement sur soi, il y a de fortes chances qu’à l’instar de Sonia Devillers, dont je ne remets pas les capacités professionnelles en cause, on se retrouve soi-même englué dans une situation que personne ne maîtrise, noyé sous le pathos, sans pouvoir progresser. Si l’on fait pleurer les mères, il y a beaucoup de chances pour qu’on se joigne à la souffrance de l’autre, qu’on souffre avec lui, mais qu’on ne puisse pas l’aider efficacement. Ensuite, il y a une technicité, une expérience accumulée, une bonne dose d’intuition pour tenter de comprendre la situation qu’éprouve la personne en face de soi, lui proposer une explication, et si elle est agréée, mettre en place une stratégie pour l’en sortir.