Tous vainqueurs ?

Si j’avais écrit ce billet à l’avance, la veille du scrutin des Européennes, je lui aurais sans doute donné le même titre, au point d’interrogation près. Il est en effet d’usage dans les états-majors des partis politiques de se féliciter des scores obtenus, quels qu’ils soient, et de considérer résolument le verre à moitié plein, soit parce qu’il marque une progression, soit parce qu’il montre une régression moins forte que prévu. C’est cette réaction qui prévaut chez les deux partis arrivés en tête, le Rassemblement national et la République en marche.

Y’a-t-il de quoi pavoiser pour ces deux formations, avec 22 ou 23 % des suffrages exprimés ? De mon point de vue, non. On en est réduit à s’extasier sur un regain de mobilisation citoyenne alors qu’à peine un Français sur deux s’est déplacé pour voter hier. Ce n’est pas ce que j’appellerai un raz de marée ni un enthousiasme populaire. Où sont passés les 4 ou 5 millions d’électeurs chacun, qui manquent à l’appel et qui avaient voté pour Emmanuel Macron ou Marine Le Pen au premier tour de l’élection présidentielle en 2017 ? Ces deux partis ont certes devancé nettement la concurrence au niveau national, mais ne seront pas majoritaires, et de beaucoup, dans l’assemblée européenne. Satisfaction légitime par contre pour les écologistes, crédités de 13,5 %, un score inespéré, malgré la défection d’une partie de ses leaders historiques, mais assez loin du record absolu obtenu en 2009 par la liste menée par Daniel Cohn-Bendit avec 16 % des suffrages. Et c’est à peu près tout. Derrière le trio de tête, c’est la déception qui l’emporte, même si le parti socialiste peut considérer avoir limité la casse. Les formations politiques qui ont dominé la 5e république se retrouvent réduites à la portion congrue.

De ce point de vue, on peut considérer qu’Emmanuel Macron a réussi son coup. Les partis traditionnels de droite comme de gauche ont été laminés, y compris celui de Jean-Luc Mélenchon qui souhaite incarner la relève, mais n’a pas retrouvé l’étiage de la présidentielle. L’objectif de Macron est clair : il souhaite le face à face avec l’extrême-droite, dont il croit pouvoir disposer facilement. Il prend ainsi le risque mortifère de la favoriser et de voir la « bête immonde » lui échapper. L’Italie n’est pas si loin, et le risque Salvini peut être contagieux. À force de faire du paysage politique un champ de ruines, il mène le pays vers un avenir plus qu’incertain, et très dangereux. Si le parti présidentiel se considère ainsi victorieux, malgré sa 2e place, il s’agirait alors d’une victoire à la Pyrrhus, dont les Français feront les frais.