Parlons chiffons

Entendons-nous bien. La profession de chiffonnier est parfaitement respectable, même si elle a tendance à disparaitre. Le temps est loin de mon enfance, où les ramasseurs de chiffons couraient les rues en criant « marchand de pillou », le mot breton pillou désignant les vieux vêtements ou les vieux tissus que l’on pouvait récupérer, généralement pour leur fibre dans le but d’en faire de la pâte à papier. D’autres criaient « peau de lapin, peau ! » ou « crevettes grises de l’Aber Wrac’h », mais ceci est une autre histoire.

Tout ça pour vous dire les chiffonniers, comme les harengères ne sont pas réputés pour l’élégance de leur langage et que le débat télévisé d’hier soir a, selon les observateurs, atteint des sommets tout en abaissant le niveau, ce qui est quand même une performance. Je vous dis ça principalement par ouï-dire, car je ne me suis pas infligé le pensum de suivre les échanges in extenso, et il semble que je n’aie qu’à m’en féliciter. Sans être passionné par le style d’Emmanuel Macron, s’il avait été opposé à quelqu’un d’autre, je me serais forcé à l’écouter pour me forger une opinion. Mais nous sommes abreuvés jusqu’à l’overdose, parité oblige, de discours de l’extrême droite enfilant mensonges, contre-vérités et propagande comme autant de perles nauséabondes. Les échantillons que j’ai pu suivre en direct, ajoutés aux citations d’après débat sous forme de morceaux choisis, m’ont convaincu du bien-fondé de cette attitude et de mon refus du masochisme.

Pour être honnête, parmi les motivations qui auraient pu m’inciter à regarder ce débat de l’entre-deux tours, il en est une, peu avouable, qui a quelque chose à voir avec le spectacle du dompteur qui met sa tête dans la gueule du lion. Avec l’arrière-pensée malsaine qu’un jour la nature reprendra ses droits. On sait pourtant que ces débats ne font généralement que refléter un rapport de force déjà établi dans l’opinion, même si, à la marge, une formule-choc peut influencer certains électeurs. La plupart du temps, les supporters de chaque candidat considèrent que leur poulain a gagné et s’efforcent d’en persuader les autres. Un sondage réalisé à l’issue de l’émission indique que Emmanuel Macron se serait montré le plus convaincant aux yeux de 63 % des téléspectateurs, c’est-à-dire, grosso modo, le pourcentage des électeurs décidés à voter pour lui dimanche prochain, contre 34 % pour Marine Le Pen. Si ces intentions se confirment dans les urnes, la candidate populiste aura donc manié l’anathème et l’insulte en pure perte.