40 acres et une mule

Au moment où la thématique du revenu universel, ou revenu de base, selon les courants de pensée, fait son apparition ou son retour dans le débat en vue des présidentielles, il n’est pas inintéressant de se souvenir de cette promesse faite aux anciens esclaves affranchis au moment de la guerre de Sécession aux États-Unis. Le général Sherman a promulgué une ordonnance en 1865 qui leur attribuait ces 40 acres, soit environ 16 hectares de terre arable, ainsi qu’une mule destinée à tirer la charrue, un texte abrogé quelques mois plus tard par le président Johnson.

Cet avantage concédé aux noirs était une forme de réparation de leur exploitation pendant des siècles du fait de la traite et de l’esclavage. Elle apparaissait comme un juste retour des choses puisque la richesse du pays avait en grande partie été acquise par la spoliation d’une fraction de la population, sur la base de la ségrégation et de la théorie de la suprématie blanche. De la même façon, il est idéologiquement justifié de redistribuer aux plus pauvres la richesse collective à laquelle ils ont droit, au même titre que les nantis qui l’ont reçue en héritage. Cet idéal de justice sociale a toujours animé la gauche, même si les réalisations concrètes n’ont pas été à la hauteur de ces intentions. À l’autre extrémité de l’échiquier politique, c’est le crédo libéral qui milite pour une pseudo-égalité des chances, et qui imposerait de donner à chacun un même viatique avec lequel il se débrouillerait.

Pas étonnant, avec des conceptions aussi diamétralement opposées, que l’on retrouve des tenants du revenu universel dans tous les camps, avec des modalités complètement contradictoires. Dans une approche capitalistique, à la Thomas Paine, il s’agirait de fournir à chaque Français à sa majorité, un pécule pour démarrer dans la vie, une approche partiellement adoptée par Christine Boutin il y a quelques années. Ou encore, de limiter volontairement ce revenu pour « obliger » le citoyen à travailler quand même à côté, fournissant ainsi un volant de main-d’œuvre disponible à bon marché. Comme tout autre système, il peut être perverti assez facilement. Reste le point-clé d’une telle mise en place : le financement. Cette mesure ne peut se concevoir sans un réaménagement de la fiscalité, qui devrait être revue de fond en comble. Le coût d’un revenu universel servi à tous les Français de leur majorité à leur mort est estimé entre 400 milliards pour 525 euros mensuels et 675 milliards pour 1000 euros, soit entre 20 % et 30 % du Produit intérieur brut de la France. Difficile ? Oui ! Insurmontable ? Non !