Gouvernement à géométrie variable

Un gouvernement est généralement le produit de négociations entre partis qui forment une coalition pour soutenir les orientations du chef de l’état, ou du Premier ministre, en cas de cohabitation. Par définition, les ministres ne sont pas nécessairement d’accord sur tout, mais on attend d’eux qu’ils mettent en avant leurs convictions communes et s’abstiennent de critiquer ouvertement leurs collègues. C’est ce que l’on appelle communément la solidarité gouvernementale. Ils retrouvent leur liberté de parole s’ils décident de quitter le gouvernement, ou s’ils sont amenés à démissionner, selon la formule popularisée par Jean-Pierre Chevènement. Il est plus rare qu’un ministre s’incruste à son poste tout en dénigrant celui qui l’y a nommé.

C’est pourtant ce que vient de faire le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, qui a déclaré benoîtement au magazine très conservateur « Valeurs actuelles » que « le macronisme s’achèvera avec Emmanuel Macron » parce qu’il n’est « ni un mouvement politique, ni une idéologie ». C’est ce qui, à mon avis, explique qu’il soutient le chef de l’état comme la corde soutient le pendu. Pour lui, il s’agit d’un gouvernement « d’assemblage » où chacun est libre de jouer sa partition. Une position confortée par la porte-parole du gouvernement, Sophie Primas, qui, par un heureux hasard, appartient à la même formation politique, Les Républicains, que Bruno Retailleau, qui en est le président. En d’autres circonstances, sous le quinquennat de François Hollande, des ministres avaient défié l’autorité de la présidence, en défendant des positions plus radicales, mais les apparences étaient sauves. Bruno Retailleau se pose en dissident et lance de fait sa précampagne présidentielle tout en bénéficiant de l’appareil d’état. Sa rencontre prévue avec le Président Macron ce jeudi 24 juillet risque d’être assez mouvementée, mais il y a peu de doute que chacun campe sur ses positions, car ils ont besoin l’un de l’autre.

Emmanuel Macron va devoir aussi gérer une situation délicate avec le renvoi devant la justice d’une autre de ses ministres, soupçonnée de corruption en faveur du groupe Renault dans l’affaire Carlos Ghosn, Rachida Dati. Le président a « pris note » de cette décision, mais maintient sa confiance à la ministre de la Culture, qui peut donc continuer à exercer ses fonctions. Voilà belle lurette qu’Emmanuel Macron a renoncé à sa position intransigeante de la campagne présidentielle, celle d’une « République exemplaire ». À cette époque, il exigeait la démission des ministres mis en cause selon ce que l’on a appelé la « jurisprudence Balladur ». L’actuel Premier ministre, François Bayrou, en a fait les frais à l’époque. Depuis, l’hémorragie de ministres et de ministrables a eu raison des beaux principes. Désormais, il faut et il suffit d’être en odeur de sainteté au sommet de l’état pour bénéficier de l’immunité ministérielle. Ça sent quand même la fin de règne.