Pan sur le bec !

Les lecteurs les plus assidus auront reconnu le titre de la rubrique que le Canard enchaîné, « journal satirique paraissant le mercredi » comme il se définit lui-même, utilise lorsqu’il est amené à faire son mea culpa, à la suite d’une erreur ou d’une information insuffisamment étayée, pour laquelle il souhaite rectifier le tir. Ce ne sont généralement là que péchés véniels, pour lesquels l’hebdomadaire peut obtenir facilement d’un lectorat tout acquis à sa cause une indulgence plénière, tant il est le plus souvent bien informé. Depuis 1915, année de sa première parution, le Canard a dévoilé nombre d’affaires politiques ou financières pour lesquelles il n’a pas eu besoin d’enquêter grâce aux informateurs volontaires qui lui apportaient spontanément leur témoignage.

Cette fois-ci, c’est le journal lui-même qui se retrouve sur la sellette avec le procès, qui vient de s’ouvrir, de deux anciens dirigeants du Canard, soupçonnés de détournement et d’abus de biens sociaux, en faveur d’un dessinateur retraité du journal et de sa femme, qui aurait bénéficié d’un emploi fictif entre 2010 et 2022. Le dessinateur Escaro continuait de fournir des dessins humoristiques au journal et c’est son épouse qui était salariée alors que, comme Pénélope Fillon, « elle n’avait rien fait ». Quand le pot aux roses a été dévoilé par un rédacteur « maison », la direction a tenté de le licencier, mais les prud’hommes ont rendu leur jugement en sa faveur. Reste un préjudice de 1,5 million d’euros versés à tort, et même 3 millions en comptant la période couverte par la prescription.

Il est évidemment paradoxal qu’un journal qui a passé son temps à dénoncer les turpitudes des autres, notamment les emplois fictifs de la Mairie de Paris du temps du mandat de Jacques Chirac, et qui a révélé le népotisme du candidat François Fillon, en se posant en chevalier blanc, soit à son tour convaincu de pratiquer les méthodes qu’il reprochait à ses adversaires. On pourrait dire à ce sujet que le Canard a ainsi dépassé allègrement « le mur du çon ». L’évolution de la société a peut-être rendu le style du journal un peu obsolète, sans toutefois le ringardiser, son contenu étant largement repris par la presse dite « sérieuse » quand on lui apporte des scoops sur un plateau. Moi-même, je ne feuillette plus guère le périodique dans sa version papier, alors que cela m’arrivait régulièrement dans les années 60 ou 70, quand le journal consacrait une double page, intitulée « la cour » aux potins sur le pouvoir gaulliste, malgré les tentatives de censure dont faisait régulièrement l’objet la presse. On essayait alors de résoudre les énigmes constituées par les contrepèteries réunies sous le titre de « l’album de la comtesse », sans toujours y parvenir. Sous une forme ou sous une autre, il est toujours utile.