Jeudi des Cendres

Le premier choc passé, les médias et les intellectuels américains, qui avaient tous soutenu la candidate démocrate et avaient pronostiqué sa victoire plus ou moins large, essaient de comprendre pourquoi ils n’ont rien vu venir. La plupart sont prêts à se couvrir la tête de cendres, en signe de mortification, pour se punir de leur aveuglement. Qu’ils se rassurent, ils n’auront nul besoin de confesser leurs erreurs pour subir leur pénitence, et ils disposeront au minimum de quatre années pour soulager leur conscience et réfléchir sur le rôle qu’ils peuvent jouer dans l’exercice démocratique.

Cette tradition des Cendres a été récupérée par le catholicisme, mais sa présence est attestée dans l’Ancien Testament, où la mortification consistait à revêtir un sac rugueux, ancêtre du cilice, ou de la haire dont parle Tartuffe, et à se mettre de la poussière ou des cendres sur la tête. Une manière de se rappeler que notre corps n’est que poussière et retournera à la poussière. Pour la religion catholique, le mercredi des Cendres précède Pâques de 40 jours et marque le début du carême, cette période de jeûne qui rappelle le séjour du Messie dans le désert. Les cendres rituelles sont celles des rameaux de l’année précédente, brûlés à cet effet. Dans un exercice d’autoflagellation, les grands médias font allégeance à la thèse selon laquelle ils seraient effectivement coupés des réalités que vivent la plupart des Américains, ce dont la campagne de Trump n’a cessé de les accuser. En psychologie, cela porte un nom : c’est la soumission à l’agresseur. Certaines personnes peuvent y trouver une forme de délectation morose, assez proche de ce que l’on appelle couramment le masochisme.

Sans se dispenser d’une nécessaire autocritique, il serait trop facile d’avaliser le discours populiste sous prétexte que le peuple aurait toujours raison, y compris quand on lui fait avaler n’importe quoi. Les tentatives de récupération de cet évènement en France sont tellement transparentes qu’elles en deviennent risibles. Marine Le Pen y voit la préfiguration de son succès en 2017, Sarkozy escompte la défaite de la pensée unique, opportunément ressortie des cartons pour son usage personnel, jusqu’à Jean-Luc Mélenchon, qu’on a connu plus inspiré, qui refait le match en se comparant à Bernie Sanders, qui aurait battu Trump, selon lui. Soyons sérieux. Après avoir fait amende honorable, les élites et les médias américains comme européens feraient bien de se préoccuper des problèmes qui ont permis l’émergence de ce courant et de ce leader. Ce ne sont plus les classes les plus pauvres qui se révoltent, mais les classes moyennes, par peur du déclassement. Et elles s’en prennent aux plus faibles, accusés d’être des assistés, laissant les vrais riches devenir de plus en plus riches.