Souriez, vous êtes fichés

Comment faire adopter une mesure hautement polémique sans s’exposer à des débats à grand risque ou se faire taxer de tordre le bras à la démocratie par le recours systématique à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution ? La réponse est simple, il suffit de ne pas présenter de texte de loi devant le parlement et de publier en catimini un décret au journal officiel à la veille de la Toussaint, quand les Français sont occupés par le souvenir de leurs défunts.

En l’occurrence, le gouvernement annonce la création d’un fichier informatisé qui regroupera toutes les données concernant l’ensemble des Français, puisqu’elles seront puisées dans les renseignements fournis à l’occasion de l’établissement d’un passeport ou d’une carte d’identité. L’objet aura pour nom TES, pour titres électroniques sécurisés. Le mot « sécurisé » a été mis là pour faire joli, car chacun sait que la sécurité en matière informatique ne peut être qu’une notion relative et dépend exclusivement des moyens mis en œuvre par une personne ou une entité malveillante. En revanche, le mot fichier a été soigneusement évité en raison de sa mauvaise réputation auprès des Français, jaloux de leur indépendance et de la protection de leur vie privée. Parlons-en, justement. Le TES contiendra non seulement les informations biométriques, le fameux signe particulier : néant, et autres empreinte digitale ou photo d’identité, mais aussi la signature, l’email et le téléphone en cas de demande à distance.

Le piquant de l’affaire, c’est que de nombreux députés PS, dont l’actuel ministre de la Justice, avaient saisi le Conseil constitutionnel en 2012 quand la droite avait essayé de faire passer un texte de loi très similaire, se fondant sur l’atteinte aux libertés individuelles ayant comme unique précédent le fichier de la France de Vichy, de sinistre mémoire. La Commission nationale de l’informatique et des libertés a d’ailleurs fait part de ses réserves et ses recommandations pour l’utilisation d’un tel fichier, dont l’objet pourrait être dévoyé selon l’orientation politique du gouvernement. On ne peut pas s’empêcher de faire le rapprochement avec le projet de la République populaire de Chine qui a l’intention d’instaurer un système pour noter l’ensemble des 1 381 301 481 Chinois (à l’heure où j’écris ces lignes), en leur accordant un crédit social de 1 000 points, duquel se défalqueraient les pénalités en cas de mauvaise conduite, et auquel s’ajouteraient des récompenses pour les bons citoyens. On ne sait pas si les Chinois devront déposer une caution pour financer la balle de l’exécution capitale quand le crédit tombe à zéro.