Porosité

Oui, vous avez bien lu, ce n’est pas une faute de frappe, c’est bien de porosité et non de morosité dont je vais vous entretenir aujourd’hui. Non que la morosité ambiante ne continue pas de nous donner des motifs de pessimisme, bien au contraire. Nous avons tout lieu de nous désoler d’apprendre, mais est-ce vraiment une surprise, que Marine Le Pen serait qualifiée pour le second tour des élections présidentielles dans tous les cas de figure, ou que les « chances » au sens américain de risques, de voir Donald Trump succéder à Barak Obama, ne sont pas nulles ?

De nouvelles révélations sont apparues dans le vaste travail d’enquête du consortium de médias d’investigation dont fait partie le journal Le Monde, connu sous le nom de « Bahamas leaks ». Et cela fait vraiment mauvais genre d’apprendre qu’une ex-commissaire européenne pratiquait en même temps que son mandat politique une activité lucrative à la tête d’une société offshore basée dans le paradis fiscal caribéen. En l’occurrence, la Néerlandaise Neelie Kroes s’est mise hors-la-loi en omettant de déclarer ses activités privées et en continuant à les exercer en contradiction avec le règlement de la Commission européenne censé empêcher ce cumul de fonctions publiques et privées. Le conflit d’intérêt de Mme Kroes est en l’occurrence évident, puisqu’elle devait réguler, en qualité de commissaire à la concurrence, les activités liées à l’énergie dont sa société s’occupait en secret en tentant de racheter Enron, un géant américain de ce secteur. Mais le plus choquant c’est que sous certaines conditions, les allers et retours de ces responsables politiques avec le milieu des affaires, à tous les sens du terme, ont tendance à devenir la règle.

Le président de la commission, Jean-Claude Juncker, bien embarrassé par ces nouveaux scandales, lui-même ancien premier ministre d’un état luxembourgeois mêlé à des blanchiments de fraude fiscale, doit déjà faire face au problème Barroso, son prédécesseur, recruté par la banque Goldman Sachs de sinistre mémoire dans la crise financière de 2008. On apprend aussi que la secrétaire d’État britannique à l’intérieur, Amber Rudd, a dirigé deux sociétés offshore aux Bahamas entre 1998 et 2000. On comprend mieux pourquoi elle avait pris la défense de David Cameron, quand il avait été impliqué dans un scandale similaire sur les comptes secrets de son père. Ces quelques affaires ne sont que la partie émergée de l’iceberg et résultent des fuites massives permises par quelques lanceurs d’alerte. Il est fort à parier que la réalité est beaucoup plus massive et que la porosité entre politique et secteur privé en est la grande responsable. Comment voulez-vous prendre des décisions fondées sur l’intérêt général quand vous êtes tellement influencé par des intérêts particuliers ?