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Le Nakamura presque sans peine
- Détails
- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le jeudi 20 février 2025 11:15
- Écrit par Claude Séné
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Il m’arrive assez souvent d’entendre à la radio une émission théoriquement destinée aux enfants et aux adolescents, réunis sous le vocable de « Juniors », et d’y apprendre des tas de choses, notamment sur leur vision du monde, moi qui a basculé dans l’univers des séniors sans espoir de retour. Le dernier thème abordé m’a fortement intéressé puisqu’il traitait du succès confirmé d’une artiste franco-malienne, Aya Nakamura, qui est la chanteuse francophone la plus écoutée au monde, loin devant Céline Dion ou Angèle par exemple. Si elle est adulée par toute une génération nouvelle, elle a aussi été la cible préférentielle d’attaques racistes, ce qui la rend presque intouchable, même quand, comme moi, on n’apprécie pas spécialement ses chansons.
L’occasion était bonne de tenter de comprendre les raisons de son succès. Pour décrypter le phénomène, la chaîne avait invité un journaliste qui vient de publier un « dictionnaire critique » destiné à aider les néophytes à traduire les expressions idiomatiques qui émaillent les textes de la chanteuse. Cette vision personnelle de la langue, utilisant des expressions souvent intraduisibles en français, est considérée par ses admirateurs comme la quintessence de l’inventivité. Ne chipotons pas. Toutes les générations ont inventé des mots ou même des langages destinés à n’être compris que d’eux seuls, et qui ont connu des fortunes diverses. Qu’en sera-t-il de Djadja, de Pookie ou du Mysoginoir ? L’avenir nous le dira. Ce qui est remarquable, c’est que les jeunes interviewés, tous « fans » de l’artiste, avouent ne pas toujours comprendre les paroles, mélange de français, de dialectes africains, d’argot, d’arabe, de manouche, d’expressions « en anglais dans le texte ». Ismaël Mereghetti, qui a écrit le dictionnaire, le reconnait volontiers : « Aya Nakamura ne veut pas être Baudelaire ». Je le rassure tout de suite, la confusion est impossible.
Alors d’où vient son succès ? L’auteur du glossaire justifie sa réussite par un argument tautologique à propos de sa prestation dans la cérémonie d’ouverture des JO. Elle serait légitimée par le fait de sortir de l’Académie française, de marcher sur le pont des Arts, et de rejoindre la garde républicaine, symbole de l’état, pour une prestation « imparable ». En gros, c’est bien, parce que c’est bien. Alors peu importe si elle malmène la langue française, de l’aveu même du journaliste, qui y voit une qualité. Il y a quelques années, un autre phénomène, bien que moins connu, la chanteuse Wedjène, révélée à 16 ans à peine, reconnaissait avoir eu « la flemme » de corriger sa faute de français et laissé une phrase sans verbe, par pure ignorance, avec son « tu hors de ma vue ». Le public l’a prise au mot, elle qui a pratiquement disparu de la scène française alors qu’elle n’a que 20 ans.