La boîte de Pandore

On comprend rétrospectivement pourquoi le Premier ministre, François Bayrou, a nié avec la dernière énergie avoir été informé en quoi que ce soit des agissements en vigueur dans l’établissement privé de Bétharram, au moment où il était ministre de l’Éducation. En vieux routier de la politique, il savait pertinemment qu’une fois ouverte, la boîte de Pandore ne se refermerait plus, laisserait libre cours à tous les maux de la terre, et que l’opprobre se répandrait inexorablement sur lui. Pris dans l’urgence d’une situation qu’il aurait dû anticiper, il a paré au plus pressé en réfutant toute connaissance du dossier, pour justifier son immobilisme de l’époque et son silence d’aujourd’hui.

Et le voici dans une situation inextricable qui devient de plus en plus insoluble sauf à reconnaître qu’il a commis des erreurs, à la fois comme politique et comme père de famille en n’intervenant pas pour faire cesser une situation insupportable. Au fur et à mesure de la médiatisation de ce scandale, les langues se délient et nous avons désormais connaissance de la gravité des faits, de la bouche même des victimes, et aussi par le témoignage hallucinant d’un ancien surveillant, auteur de sévices physiques infligés systématiquement aux jeunes élèves dès leur arrivée à l’établissement pour les briser moralement. On comprend que ces comportements de violence, y compris sexuelle, ne sont pas un accident, mais un système, qui s’est perpétué pendant des décennies. Et que dire des « aveux » de l’ancien Inspecteur d’Académie, qui avait été chargé de contrôler l’établissement et n’y avait vu que du feu, par négligence selon lui, ce qui aggraverait plutôt son cas, et plus probablement par soumission aux demandes implicites de sa hiérarchie.

La défense tardive et maladroite de François Bayrou a consisté à faire porter les responsabilités sur ses successeurs du gouvernement Jospin. S’il a des éléments concrets à verser au dossier, qu’il le fasse. Mais les turpitudes supposées d’autrui n’ont jamais amoindri les responsabilités de chacun ni exonéré quiconque de la reconnaissance de ses erreurs. François Bayrou est conscient du risque majeur qu’il encourt. Il pourrait être poussé vers la sortie par les conclusions de l’enquête parlementaire qui devrait se mettre en place prochainement dans le cadre de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Il pourrait même démissionner pour ne pas se trouver en plein conflit d’intérêts dans une affaire concernant aussi son épouse, chargée du catéchisme à Bétharram et qui n’aurait pas, elle non plus, tenté d’empêcher les mauvais traitements infligés aux élèves et dénoncés par sa collègue professeur dans l’établissement. Ce n’est que le début d’un mouvement qui prend de l’ampleur. Plus de 110 plaintes ont été enregistrées. Le suicide d’un des tortionnaires, convaincu de pédocriminalité, a éteint l’action de la justice dans son cas précis, au détriment des victimes privées de reconnaissance judiciaire, mais des faits non prescrits vont revoir le jour, et la peur va changer de camp.