Un recul historique

À peine venait-on de célébrer le 80e anniversaire de l’ordonnance du 2 février 1945 qui fixait des règles spécifiques en ce qui concerne la justice des mineurs, une des mesures phares parmi les nombreux progrès obtenus après la libération du pays de l’occupant nazi et l’instauration d’un Gouvernement provisoire dirigé par le général de Gaulle, qu’il fallait statuer sur de nouvelles atteintes aux principes qui avaient présidé à sa promulgation. L’ancien Premier ministre éphémère, Gabriel Attal, reprenait en effet un texte prônant des mesures répressives et le présentait devant l’Assemblée nationale en vue de son adoption. Compte tenu de l’absence de majorité soutenant le gouvernement, ce projet de loi ne peut être adopté que si la droite dite républicaine et le Rassemblement national votent en sa faveur.

C’était donc loin d’être gagné, mais le pouvoir macroniste, ou ce qu’il en reste, n’a pas les moyens de faire la fine bouche et doit accepter le soutien d’où qu’il vienne, quitte à durcir encore plus les dispositions envisagées pour satisfaire ses nouveaux alliés. L’honnêteté commande de préciser que la nouvelle loi ne fera que planter les derniers clous sur le cercueil de la protection de l’enfance, dont le décès a déjà été acté en 2020 par l’abrogation officielle de l’ordonnance de 1945. La lettre et l’esprit du texte avaient été patiemment détricotés, faisant l’objet de pas moins de 39 modifications en 75 ans. Chaque ministre de l’Intérieur, ou de la Justice, quand ce ne sont pas les deux réunis, a été confronté au fléau de la délinquance juvénile et à la nécessité de trouver un équilibre entre répression et prévention. On a trop souvent oublié que le texte d’origine avait aussi et peut-être surtout pour objectif de venir en aide aux enfants, en les protégeant des adultes défaillants et parfois d’eux-mêmes.

Dans chaque département, il existe des services de l’aide sociale à l’enfance, qui gèrent des établissements d’accueil, chargés d’accompagner les enfants et les familles en difficulté et disposent de postes d’éducateurs, en nombre malheureusement très insuffisant. Lorsqu’une mesure éducative est décidée en faveur d’une famille ou d’un enfant, il faut des mois pour qu’elle reçoive un début d’exécution. Et si des soins psychiatriques ou psychologiques sont nécessaires, comme l’actualité nous le démontre dans certaines affaires, il faudra encore plus de temps pour leur mise en place, sans garantie d’efficacité. Alors on reste ébahi par les propositions de Bruno Retailleau, qui suggère d’incarcérer les mineurs délinquants y compris pour les courtes peines, quand toutes les études démontrent au mieux l’inefficacité de telles sanctions, voire le rôle contre-productif de la célèbre « école du crime ». De telles mesures populistes renforcent le sentiment de « forteresse assiégée », prélude à la montée du vote d’extrême droite. Il ne faudra donc pas s’en étonner si le pire arrive.