En un combat douteux
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- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le lundi 22 mai 2023 11:02
- Écrit par Claude Séné
Le chef de la milice Wagner a annoncé samedi dernier, pour la énième fois, avoir pris la ville de Bakhmout, théâtre d’une bataille acharnée de 224 jours, dans laquelle de nombreux soldats ont perdu la vie des deux côtés. Cela fait longtemps que la ville a été presque entièrement détruite par les bombardements, alors que son occupation ne donne aucun avantage stratégique à un des belligérants ni ne permet d’envisager une percée d’une des deux armées qui se disputent le territoire. Malgré les pertes humaines et matérielles colossales, les deux camps ne veulent rien lâcher, pour conserver le symbole du combat acharné qui tournerait en leur faveur.
Pour Prigojine, il s’agit de démontrer sa supériorité, non seulement sur l’armée ukrainienne, mais sur la bureaucratie qui gangrène l’armée russe selon lui. Il espère pouvoir quitter la position en vainqueur et transférer à l’armée régulière la tâche de la consolider, pendant qu’il reconstituera ses forces, très entamées. Cet épisode m’a rappelé une scène du film « La grande illusion », quand les prisonniers de guerre français donnaient une représentation d’une revue devant leurs compagnons d’infortune et l’état-major allemand dirigé par Rauffeinstein, Erich Von Stroheim, et que Jean Gabin, alias Maréchal, annonçait que Douaumont avait été repris. S’ensuivait une Marseillaise inoubliable entonnée par les acteurs, perruque ôtée, maquillage à blanc, reprise par le public de prisonniers. Pour les Ukrainiens, Bakhmout est l’équivalent de Verdun en 14-18. Le président Zelenski, après une communication un peu hésitante pour une fois, a fait savoir que la bataille continuerait, et qu’elle n’était pas perdue. D’autant moins qu’il vient d’obtenir un feu vert des États-Unis pour la fourniture d’avions de combat jusqu’ici bloquée. Il faudra encore des mois pour que l’ensemble des armes promises par les pays occidentaux soit opérationnel, mais le principe est acquis.
Si l’issue du combat reste douteuse, comme l’était la réussite de la grève dans le roman de Steinbeck dont le titre était inspiré de John Milton dans « Le paradis perdu », la détermination des Ukrainiens reste intacte ainsi que leur volonté farouche de libérer l’ensemble de leur territoire. Tout dépendra de la réussite de cette contre-offensive annoncée, pour laquelle il ne pourra pas y avoir de deuxième chance. Pour le moral des troupes, il est donc important de ne pas concéder une défaite, même partielle ou provisoire dans le secteur de Bakhmout. C’est à la fois la faiblesse et la grande force des Ukrainiens : les opérations se déroulent exclusivement sur leur territoire, ce sont leurs villes et leurs villages qui sont touchés et même détruits, leurs populations qui souffrent. Bien qu’inférieurs en nombre, ils ont la motivation des peuples opprimés et leur niveau d’équipement et d’armement est en passe de rattraper ou même de dépasser celui de la Russie, vieillissant.