Le mouton à cinq pattes

Selon des indiscrétions ayant filtré de l’entourage rapproché du président de la République, Emmanuel Macron aurait regretté la nomination d’Élisabeth Borne au poste de Premier ministre, alors qu’il aurait pour sa part préféré la candidature de Catherine Vautrin. Est-ce à dire qu’il va la nommer prochainement à Matignon ? Rien n’est moins sûr. Pour l’instant, il a chargé l’actuelle Première ministre d’une mission impossible : élargir la majorité en débauchant individuellement des « personnalités » en mal de notoriété et de reconnaissance. Ce qui en d’autres temps n’aurait pas posé de difficultés particulières est en ce moment assez mal vu de l’opinion.

Nous n’en sommes pas (encore ?) au point de la situation en Israël où les propositions de l’extrême droite, membres de la coalition au pouvoir, sont en passe de provoquer une véritable situation insurrectionnelle, mais l’entêtement du Président à refuser toute négociation sur la réforme des retraites pourrait y conduire, et les politiques français jugent, pour la plupart, risqué de se compromettre actuellement avec l’exécutif. Inexorablement, il faudra cependant trouver l’oiseau rare pour remplacer l’éphémère Première ministre, qui pourrait, au mieux, égaler le record de longévité pourtant assez faible d’une femme à Matignon, détenu par la seule autre personne de sexe féminin à ce poste, Édith Cresson, avec 10 mois et 18 jours. Ce qui est toujours mieux que le record absolu toutes catégories confondues de Léon Shwartzenberg, qui n’est resté ministre que 9 jours en 1988, seulement égalé par Thomas Thévenoud en 2014 pour cause d’allergie administrative vis-à-vis des services fiscaux.

Pour remplacer Élisabeth Borne quand elle aura fait la preuve de son incapacité à rassembler une nouvelle majorité autour du Président, il faudra trouver un mouton à cinq pattes et donc résoudre le problème insoluble de la quadrature du cercle : une personnalité qui s’impose dans le paysage politique sans faire d’ombre au Président. Emmanuel Macron croyait être tranquille en nommant Édouard Philippe, dont le charisme ne semblait pas la qualité première, et l’on a vu le résultat dans les sondages où il est en bonne place. Emmanuel Macron n’aura le choix qu’entre deux catégories de personnalités qui ont accompagné son accession au pouvoir. Soit les amateurs, ces néophytes qui n’avaient aucune expérience en politique, arrivés massivement à l’Assemblée nationale, et un peu moins nombreux depuis les élections de juin dernier, assignés à résidence sans avoir la moindre voix au chapitre, soit les professionnels, ces chevaux de retour ayant fait leurs armes dans les couloirs et les antichambres du pouvoir, des technos sans la moindre conviction pour leur servir de colonne vertébrale, issus, pour la plupart, des rangs de la droite traditionnelle, la véritable famille du président. La crise actuelle, après celle des Gilets jaunes et du Covid, semble démontrer la lassitude des Français. Ils attendent sans illusion de voir quel lapin sortira du chapeau présidentiel.