Contretemps

C’est, apparemment, un simple contretemps, que ce report de la royale visite du souverain du Royaume-Uni, Charles III, qui devait séjourner quelques jours en France avant de se rendre en Allemagne. Ce qui est beaucoup plus gênant, c’est la raison de l’abandon de cette visite protocolaire, car elle laisse à penser, ce qui n‘est pas totalement faux, que la France ne se sent pas capable d’assurer à 100 %, sinon la sécurité physique du souverain anglais, du moins l’absence d’incidents plus ou moins désagréables à l’encontre du président français, et par contrecoup, du souverain britannique.

Ce n’est pourtant pas la personne de Charles III qui serait mise en cause. Les Français, bien qu’ils aient coupé la tête couronnée de leur souverain, adorent pour la plupart les familles royales en général, et celle d’Angleterre en particulier, fournisseurs inépuisables d’anecdotes et d’histoires plus croustillantes les unes que les autres. Cependant, ils les préfèrent à l’étranger, et en ce moment, le monarque républicain qui les dirige n’a pas bonne presse. La perspective d’une réception fastueuse à Versailles ou à l’Élysée, au moment même où le président demande des efforts aux Français, y compris les plus modestes, en les contraignant à travailler deux ans de plus, tout en se serrant la ceinture à cause de l’inflation vertigineuse des produits de première nécessité, aurait fait figure de provocation. Sans compter que les forces de l’ordre sont déjà très occupées pour tenter de garder un visage humain aux grandes métropoles, et notamment à Paris. On voit mal comment on aurait pu cacher les montagnes de détritus, canaliser les manifestations, tout en garantissant des allées et venues paisibles aux cortèges officiels, à moins d’avoir recours à l’armée, dans un aveu de faiblesse presque sans précédent. Mais recevoir un chef d’État étranger sous protection militaire aurait eu un effet désastreux sur l’image de notre pays, déjà détériorée par la gestion calamiteuse du conflit social par le président Emmanuel Macron.

Voilà qu’il annonce qu’il est prêt à rencontrer les syndicats pour parler de tout et de rien, à l’exception du seul sujet qui vaille en ce moment, la réforme des retraites. Ces syndicats dont il a dit pis que pendre la veille. Au tennis, on appelle ça monter à contretemps. Cela consiste à relancer la balle à l’adversaire et de profiter que son attention est mobilisée par le coup à effectuer, pour avancer vers le filet afin d’intercepter la balle et marquer le point. Il arrive malheureusement assez fréquemment que le joueur adverse anticipe la manœuvre et que tel soit pris qui croyait prendre, en se faisant « passer » sans recours possible. L’initiative du président arrive donc beaucoup trop tard, et manque trop visiblement de sincérité. Emmanuel Macron en est réduit à tenter de sauver la face en affichant une sérénité qu’il est probablement loin d’éprouver. Plus il attendra, plus ce sera dur.