Un pluriel très singulier
- Détails
- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le vendredi 17 mars 2023 10:31
- Écrit par Claude Séné
Au terme d’une séquence politique qui a vu le clan présidentiel multiplier les erreurs de communication, il faut quand même lui reconnaître un succès. C’est celui d’avoir réussi à imposer le terme « les oppositions » au pluriel, qui seraient donc hétéroclites par nature, tout en conservant pour lui-même le titre ronflant de « majorité » présidentielle, alors que celle-ci vient de voler en éclats à l’occasion de la réforme des retraites. Le refus d’obstacle du président, qui n’a pas voulu prendre le risque de la démocratie, illustre parfaitement le constat qu’il n’y a pas de majorité à l’Assemblée nationale, pas plus que dans l’opinion.
Les ministres et les derniers partisans d’Emmanuel Macron se sont échinés à justifier l’emploi de l’article 49.3 pour faire passer en force une réforme dont les Français ne veulent pas, en soulignant son caractère constitutionnel, et son usage répété dans le passé. Puis-je leur faire remarquer que le fait précède toujours le droit et que la France de 2023 diffère assez considérablement de celle de 1958, lorsque le Général de Gaulle est revenu au pouvoir après une traversée du désert d’une douzaine d’années ? Il institue alors la 5e République et il la dote d’une constitution très favorable à l’exécutif, dans laquelle le président peut obtenir les « pleins pouvoirs », ce dont il ne se privera pas. Le présidentialisme sera renforcé au cours du temps, avec son élection au suffrage universel direct, puis le quinquennat, pour aboutir à notre régime actuel de monarchie républicaine. Tout ceci est parfaitement légal, mais est-ce légitime ? On voit bien que l’évolution des institutions tend vers un système où les élus sont impuissants vis-à-vis du Président, et tout-puissants vis-à-vis des électeurs dont ils tirent leur pouvoir.
Pour que cela marche, il parait inéluctable d’en passer par un changement du fonctionnement démocratique, avec un nouvel équilibre des pouvoirs et des institutions permettant l’expression populaire, où les citoyens ont l’impression que leur avis compte pour quelque chose, et pas seulement tous les 5 ou 6 ans. Ce que certains appellent de leurs vœux sous forme d’une 6e République, dont les contours restent à préciser. La 5e république avait été taillée sur mesure pour De Gaulle. Les partis politiques de l’époque se définissaient par rapport au Président, qui en jouait dans ce que François Mitterrand appelait le coup d’état permanent : « moi, ou le chaos ». La notion de majorité avait alors un sens, mais la chape de plomb d’un état omniprésent a fini par craquer avec le soulèvement populaire de mai 1968. Est-ce cela que veut Emmanuel Macron ? L’épisode des Gilets jaunes ne lui a pas suffi ? Les quelques violences et les bouffées de colère qui se sont exprimées après l’annonce du recours au 49.3, alors que le mouvement social était jusqu’ici exemplaire, ne montrent-elles pas les arrière-pensées du pouvoir, de ceux qui forment désormais les minorités présidentielles ?