Générosité
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- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le samedi 4 février 2023 11:16
- Écrit par Claude Séné
Si, comme moi, et beaucoup d’autres, vous êtes amateurs de Gustave Caillebotte, vous aurez appris avec satisfaction que le musée d’Orsay avait réussi à faire l’acquisition d’une de ses toiles les plus connues, « la partie de bateau », considérée comme un trésor national. Cette œuvre, d’une valeur de 43 millions d’euros a été achetée par le musée, où se trouve déjà un autre chef-d’œuvre de l’artiste, « les raboteurs de parquet » alors que son budget annuel n’est que de 3 millions. Soit 40 millions de moins que le seul tableau en question. Comment est-ce possible ? Grâce à la générosité de Bernard Arnaud, qui dirige la fondation LVMH, et qui a fait don de l’œuvre au musée.
Un geste désintéressé ? Pas tout à fait. Les dons liés au mécénat sont exonérés d’impôts jusqu’à 60 % de leur valeur depuis la loi Aillagon de 2003. Un cadeau fiscal qui coûte près d’un milliard par an de manque à gagner pour l’état pour les 70 000 entreprises qui y ont recours. À elle seule, la fondation Louis Vuitton avait « économisé » plus de 500 millions d’impôts sur la période 2007-2017, et s’est fait épingler à ce titre par la Cour des comptes. Ces petits arrangements avec le ciel, additionnés d’une « optimisation fiscale » générale, sans préjudice de possibles fraudes, tant les sommes en jeu sont considérables et les recours aux paradis fiscaux systématiques, aboutissent à une réalité beaucoup moins appétissante que l’image généreuse donnée en pâture au grand public : le taux d’imposition de l’entreprise, beaucoup moins élevé que celui d’une PME ne disposant pas de l’armada juridique du groupe. N’oublions pas non plus qu’à titre personnel, Bernard Arnaud est devenu l’homme le plus riche de la terre, dépassant Elon Musk et Jeff Bezos et qu’il pourrait largement se permettre de faire des dons, non seulement aux musées, mais aussi pour éradiquer la faim dans le monde, ou donner accès à l’éducation à tous et à toutes, sans pour autant se trouver ruiné.
Cette attitude de mécénat, très exemplaire du protestantisme, nous vient directement des États-Unis, où certains milliardaires font campagne pour que l’état les taxe plus lourdement, comme Warren Buffet ou Bill Gates. C’est quand même un peu tordu de faire des pieds et des mains pour amasser une fortune, si c’est pour la redistribuer ensuite sous une forme ou sous une autre. De la même façon, il ne parait pas logique que l’état français fasse des cadeaux fiscaux pour permettre à d’ultra-riches de faire état de leur générosité, ce qui doit les amener, en sus, à accroître leur chiffre d’affaires. Si j’ai la chance, et l’occasion de pouvoir admirer la dernière acquisition du musée d’Orsay, j’aime à penser que mes impôts sont pour quelque chose dans la préservation de notre patrimoine commun.