Les autres mondes

Je fais allusion à ces univers que nous proposent les émissions de télé-réalité, qui sévissent sur nos écrans français depuis 2001, mais qui envahissaient déjà depuis 1994 les États-Unis et d’autres pays européens comme la Suède et la Norvège.

Le principe de cet exercice télévisuel, c’est de suivre sous une forme de fiction, souvent sur un mode de série, la vie quotidienne d’anonymes ou de célébrités filmés dans une pseudo réalité. On accroche le téléspectateur en faisant appel à ses émotions, sa curiosité. On aimerait qu’il aille jusqu’à s’identifier aux personnages qui semblent réels, et qui sont, au niveau du casting, complètement fabriqués.

Depuis « la ferme célébrités », « le loft », « Greg le millionnaire », « Koh -lanta », « star académie » (ces deux dernières ont survécu) on ne compte plus le nombre d’émissions qui jouent sur ce registre dont Hervé Bourges, président de l’organisme de l’audiovisuel disait « la télé-réalité c’est un phénomène mondial auquel on ne peut échapper, c’est une télé voyeuse, télé poubelle, capteuse ». Elle réveille une curiosité morbide et un voyeurisme, un désir inconscient de savoir ce qui se passe chez l’autre, de pénétrer dans son intimité. Elle utilise des gens ordinaires qui acceptent l’exhibitionnisme pour faciliter l’identification du téléspectateur, marchande de rêves d’argent, d’amour, de gloire…

Les émissions de Stéphane Plaza, créateur d’un réseau d’agences immobilières en partenariat avec M6 (actuellement plus de 660 agences franchisées qui lui reversent 6 % de leur chiffre d’affaires) aident les participants à ses émissions pour des transactions qui dépassent rarement 300 000 €, ciblant ainsi un milieu socio-économique moyen, voire modeste, « maison à vendre » « cherche appartement » flirtent avec le documentaire et le reportage, j’en suis spectatrice de temps en temps, car j’aime visiter des maisons, assister à leur transformation pour les rendre vendables, écouter les histoires de ces propriétaires, prisonniers du marché immobilier, dans l’empathie plutôt que dans le voyeurisme… l’idée étant de porter assistance à des gens ordinaires dans la difficulté, sans oublier pour autant le marché juteux pour M6.

L’agence familiale Kretz (les parents et les quatre enfants) dite « l’Agence » depuis 10 ans, officie pour une clientèle de luxe jusqu’à l’internationale, utilisant des « apporteurs d’affaires » grâce à un réseau « d’amis » dans le milieu des célébrités, artistes, sportifs, musicaux, Dujardin, Belmondo, Santoro, Luchini… et de grands entrepreneurs… rares sont les transactions en dessous de 2 millions ! L’Agence prend 3 % du bien vendu. Leur challenge, vendre la propriété de Johnny Hallyday, et un palais à 120 millions d’euros sur la Côte d’Azur !!!

Ils ont, eux aussi, réalisé deux séries nous faisant assister à leur recherche avec leurs clients et aux visites de ces biens dits d’exception, dans des lieux aussi d’exception. Plutôt que de me rendre admirative, je suis écœurée qu’il puisse exister autant de luxe « superflu » à mes yeux, et je trouve indécent qu’on souhaite l’étaler pour en tirer profit, plutôt que pour dénoncer la fracture, entre le commun des mortels, et les détenteurs du capital. Les chiffres parlent tout seuls, les émissions de Plaza réunissent 2 400 000 spectateurs populaires, l’agence ne récolte que 500 000 spectateurs… deux mondes séparés par des millions d’euros, et qui ignorent complètement les autres mondes, celui de ceux qui n’ont rien à vendre et celui des 300 000 SDF sans toit.

L’invitée du dimanche