De l’esprit des lois
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- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le mardi 31 janvier 2023 10:48
- Écrit par Claude Séné
Vous avez aimé détester l’article 49 alinéa 3 de la Constitution qui permet de faire adopter sans vote une loi chère au gouvernement, vous allez adorer haïr l’article 47, alinéa 1, qui escamote les débats sur le sujet en cours. C’est au nom de cette disposition que le texte supposé réformer le régime des retraites ne sera discuté que très brièvement, 20 jours en première lecture à l’Assemblée nationale, puis 15 jours au Sénat, et basta ! Pour verrouiller un peu plus, si à l’issue de ces courts débats le gouvernement n’obtient pas une majorité absolue, il pourra toujours engager sa responsabilité pour tordre le bras de la représentation nationale.
Et ce n’est pas tout ! Pour ne pas « gaspiller » un recours au 49.3 dont le nombre a été plafonné à un seul par session parlementaire, le texte sera présenté comme une loi rectificative au budget de la Sécurité sociale, exempté à ce titre de limitation, les budgets étant exclus de la règle commune. Au passage, cela permet aussi de squeezer l’examen par la commission des Affaires sociales, dont l’avis sera purement consultatif. D’ailleurs, si l’on examine bien la Constitution qui régit la 5e république, on se rend compte que toute la procédure législative n’est qu’une parodie de démocratie. Lorsque le rédacteur du texte fondateur, celui que le Canard enchaîné appelait l’amer Michel et présentait toujours muni d’un entonnoir sur la tête, a rendu sa copie, il a pris soin de répondre à la commande de son mentor, Charles de Gaulle, qui voulait en finir avec la 4e, la république des partis, avec laquelle il avait dû composer lors de son premier passage au pouvoir à la libération. Oh ! sur le papier, Michel Debré affirme la prééminence du peuple, qui est censé gouverner par l’intermédiaire de ses représentants élus, mais il prend soin de prévoir des arbitrages donnant le pouvoir réel au chef de l’état. Une prééminence qui sera amplifiée par la réforme du scrutin permettant au président d’exercer un pouvoir sans partage grâce à l’onction du suffrage universel.
Sous De Gaulle, le fonctionnement des institutions est marqué par une domination du parti présidentiel, qui lui assure une majorité sans faille. Les playmobils d’aujourd’hui s’appelaient alors « les godillots ». Et si des cactus se mettaient à pousser au milieu du jardin présidentiel, il pouvait toujours organiser un référendum pour valider ses choix par une question soigneusement formulée à cet effet, transformant la consultation en plébiscite sous la forme : « moi, ou le chaos ! » L’article de la Constitution le plus controversé de cette époque était l’article 16 selon lequel le président de la République pouvait s’arroger les « pleins pouvoirs » et donc suspendre la démocratie lorsqu’il estimait la nation menacée, ce qui arrivera lors de la tentative de putsch en 1961. Une époque apparemment révolue.