Connaissez-vous Tolstoï ?

Je sais ce que vous allez me dire : évidemment, tout le monde connait Tolstoï, l’écrivain russe par excellence, auteur de plusieurs chefs-d’œuvre parmi lesquels Anna Karénine et Guerre et paix. Justement, vous n’y êtes pas du tout. Ce n’est pas de Léon Tolstoï dont je souhaite vous entretenir, mais de Piotr Tolstoï, qui ne revendique à ma connaissance aucun lien de parenté avec son célèbre homonyme, et qui occupe le poste normalement honorifique de vice-président de la Douma, la chambre des représentants en Russie, équivalent de notre Assemblée nationale. Figurez-vous que BFMTV l’avait convié à une vidéoconférence pour répondre aux questions des journalistes et des invités en plateau en France.

Si, comme moi, vous êtes tombé sur son interview un peu par hasard, vous n’avez pas dû être déçu du voyage. On ne peut pas dire que ce soit l’objectivité et l’honnêteté qui l’étouffent, et il m’a fallu des tas de pincettes pour supporter les tombereaux de mensonges et de propagande qu’il a réussi à accumuler pendant les quelques minutes d’échange. Il faut lui reconnaître l’usage d’un Français presque parfait, qui ne pourra donc pas servir d’excuse pour justifier un discours qui aurait dépassé sa pensée. Après avoir failli passer immédiatement mon chemin, je me suis astreint à écouter ses arguments et ses menaces parfois voilées, parfois très explicites. C’est ainsi que le programme et les objectifs de guerre de la Russie sont réaffirmés. Contre toute réalité du terrain où l’armée russe subit défaite après défaite, Piotr Tolstoï prédit l’écrasement de l’ennemi. Il se propose de renvoyer l’Ukraine au 18e siècle, un pays qu’il considère comme sien puisque sa famille en est originaire, au mépris de tous les traités internationaux, dont il fait fi.

Bien qu’il nie toute attaque contre les civils, il revendique la destruction massive de toutes les infrastructures qui leur permettent de survivre tant bien que mal, une contradiction dont il n’a visiblement que faire. Il n’hésite pas non plus à brandir la menace atomique en déclarant que les puissances nucléaires ne perdent pas les guerres. Ce qui est pourtant faux comme en témoignent la défaite et la retraite de l’armée soviétique en Afghanistan. Sans reprendre l’ensemble de l’argumentaire, il permet de mesurer à quel point le pouvoir qui est à la tête du pays surestime le pouvoir de persuasion des dirigeants russes. Nous pouvons entendre des extraits d’émissions de propagande diffusées sur la télévision d’état à usage des populations locales et nous imaginons que beaucoup de Russes se laissent plus ou moins convaincre, par simple patriotisme, que leur pays ne peut pas avoir le comportement inhumain dont il est accusé par les observateurs indépendants dans les médias occidentaux. On reste confondu de constater que les dignitaires russes les plus hauts placés s’imaginent que leur cause sera entendue grâce à des mensonges aussi simplistes.