Ubérisation de la société

C’est devenu le symbole d’une libéralisation absolue de l’économie, où règnerait exclusivement la loi du plus fort, où le plus riche s’installe au sommet de la chaîne alimentaire, en utilisant tous les moyens à sa disposition. Et si ces procédés sont illégaux, il faut et il suffit de changer la loi. Ce qui implique d’avoir des relais au sein de l’appareil d’état, et c’est précisément l’objectif des lobbies, des groupes de pression qui ont leurs entrées auprès des gouvernements et des députés. C’est ce que l’ancien lobbyiste en chef d’Uber pour la France et l’Europe a révélé dans les documents fournis à la presse internationale.

Ces « Uber files » désignent nommément le président Macron, à l’époque ministre de l’économie et des finances, comme un interlocuteur privilégié, ayant mis en place un « deal » pour faciliter l’introduction du service de VTC en France. Pour le moment, il n’apparait pas que le ministre aurait tiré un avantage personnel financier de cet accord, et si c’était le cas, il bénéficie d’une « inviolabilité temporaire » empêchant les poursuites pendant son mandat présidentiel. Emmanuel Macron aurait agi ainsi par conviction personnelle, pour casser un monopole des taxis traditionnels et aller dans le sens de l’initiative personnelle. Cette position est tout à fait « raccord » avec ses discours sur le libéralisme, le travail au coin de la rue, la start-up nation et tous les oubliés sur le bord du chemin pour une exception qui surnage contre vents et marées.

Les défenseurs d’Emmanuel Macron feignent de s’étonner que l’on s’étonne d’un ministre aussi proche de chefs d’entreprises, qu’il serait normal de recevoir régulièrement. Normal aussi d’organiser une pantomime à l’Assemblée nationale, où le ministre prétend découvrir des amendements rédigés par Uber, qui ne seront pas adoptés, mais qu’il reprendra dans le texte final du gouvernement. Mais cela c’était avant. Avant que les pratiques antisociales d’Uber et des autres plateformes similaires ne soient dénoncées au grand jour et que les premières décisions de justice tombent pour contraindre le géant du VTC à assumer ses responsabilités d’employeur, tout déguisé qu’il puisse être. Il n’est plus de bon ton de soutenir Uber de nos jours, même si je reste persuadé que le président actuel défendra bec et ongles le ministre qu’il a été, et prétendra avoir servi les intérêts de la France en facilitant la création de quelques emplois, dont certains sont plus proches de l’esclavage que du droit du travail dans un pays civilisé. L’avenir dira si les pratiques du ministre, en contradiction avec la doctrine du gouvernement dirigé par Bernard Cazeneuve, étaient illégales ou non, mais on peut conclure dès maintenant qu’elles étaient moralement répréhensibles, et mettaient l’état en porte-à-faux vis-à-vis d’un opérateur privé.