Bernique Johnson

Connaissez-vous la bernique ? C’est le nom donné en Bretagne et dans d’autres lieux découverts à marée basse, à une patelle commune, réputée pour s’accrocher à son rocher d’une façon telle qu’une force fors du commun est nécessaire pour lui faire lâcher prise. Au point que le substantif bernique, ou bernicle, est devenu synonyme d’un refus obstiné que rien ne semble pouvoir fléchir. Le Premier ministre anglais, Boris Johnson, a beau se trouver depuis des mois dans une situation extrêmement inconfortable, rien ni personne ne semble en mesure de lui faire abandonner son poste, auquel il s’accroche désespérément comme le coquillage à son rocher.

Le système bicamériste britannique ressemble beaucoup au nôtre, dans la mesure où c’est la Reine qui prend acte des résultats des élections en désignant le chef du parti majoritaire pour former et diriger un gouvernement. Jusque-là, tout va bien puisque deux partis, les travaillistes et les conservateurs, se partagent la plus grande partie des députés et se succèdent donc au pouvoir, avec un consensus, qui n’exclut pas des débats plus ou moins vifs dans les deux chambres. Les choses se gâtent si le leadership du Premier ministre est contesté pendant son mandat à l’intérieur de son propre parti et se trouve, de fait, en minorité. C’est arrivé à Térésa May, confrontée aux difficiles négociations du Brexit, et c’est ce qui se passe actuellement avec Boris Johnson, aux prises avec des scandales à répétition, qu’il minimise volontairement. Il a fini par reconnaître et s’excuser des fêtes données dans sa résidence pendant le confinement, sans en tirer la conséquence logique de sa démission. Au contraire, ce sont les ministres de son gouvernement qui démissionnent les uns après les autres en guise de protestation, sans qu’il esquisse le moindre geste pour suivre leur exemple. Entre les députés, les ministres et les assistants parlementaires, une cinquantaine de personnalités du parti ont ainsi quitté le navire. Bo Jo quant à lui se considère comme inamovible tant que la guerre en Ukraine n’aura pas été réglée. Donc des semaines, des mois, peut-être des années.

Bien que je ne partage pas les choix gastronomiques de nos voisins et néanmoins meilleurs ennemis anglais, je me permets de leur donner gratuitement ma technique pour cueillir ces délicieux fruits de mer que je déguste souvent à même le rocher, tout cru, mais qu’il peut être nécessaire d’attendrir, comme les ormeaux, malheureusement interdits à la pêche pour la sauvegarde de l’espèce. Il s’agit de tromper le mollusque en lui faisant croire que la mer monte et profiter du court instant où il s’entrouvre pour insérer la pointe d’un couteau. Il n’y a plus qu’à faire levier pour détacher aisément le coquillage. Peut-être que la Reine, malgré son grand âge, pourrait flatter le Premier ministre en l’anoblissant et en profiter pour lui confier un poste honorifique aussi éloigné du pouvoir que possible ? je dis ça, moi, je ne dis rien !