Sortir vainqueur d’une défaite

La formule est de Charles Aznavour, mais elle pourrait résumer l’objectif visé par Emmanuel Macron depuis que les Français ont refusé de lui accorder la majorité absolue après sa réélection à la présidence de la République. Pire encore, le parti présidentiel est à peine plus représenté numériquement que le Rassemblement national, dont la cheffe de file a été renforcée quand il était désavoué par le vote populaire. Il n’est pas homme à s’avouer vaincu si facilement, et dès le lendemain de l’élection, il s’est attaché à essayer de mystifier l’opinion en se faisant passer pour le vainqueur.

La stratégie de la main tendue, dont il savait pertinemment qu’elle ne serait pas saisie, avait pour objectif d’insérer un coin entre les opposants « présentables » avec lesquels l’ancienne majorité aurait pu trouver un terrain d’entente après les avoir copieusement ignorés ou méprisés pendant cinq ans, en incluant ce qui reste du parti communiste, et les insoumis, totalement infréquentables. Après avoir constaté un désaccord inévitable avec l’opposition, il rejette évidemment la responsabilité de l’échec sur les adversaires qui n’ont pas voulu abandonner leurs convictions pour se fondre dans un magma insondable dont il espérait tirer les ficelles. Macron a donc limité son ouverture aux convaincus d’avance, ce qui se traduit par un gouvernement à l’eau plate, incolore, inodore et sans saveur. Aux ordres, la Première ministre n’engagera évidemment pas la responsabilité du gouvernement, qui n’aurait pas obtenu la confiance du parlement, et attendra une motion de censure de la NUPES pour pouvoir la taxer de pratiquer l’obstruction.

Ce sera, apparemment, la tactique préférentielle de ce gouvernement minoritaire : rejeter toute responsabilité pour justifier l’absence de mesures de justice sociale et l’insuffisance des moyens pour ralentir l’inflation, le Covid, la vie chère, le prix du carburant, la situation à l’hôpital, notamment aux urgences, et d’une manière générale tout ce qui ne va pas dans le pays, sur l’air de « nous, on voulait bien, c’est eux les malfaisants ». La ligne de mire, c’est de démontrer que le pays est ingouvernable, et qu’il faut donc retourner aux urnes, jusqu’à ce que le peuple vote « bien », comme cela s’est produit après le référendum sur la constitution européenne rejetée par les Français en 2005. Emmanuel Macron sait pertinemment que dissoudre immédiatement l’Assemblée serait suicidaire, à l’image de la décision de Jacques Chirac en 1997, qui s’est soldée par une défaite et la période de cohabitation qui s’en est suivie. Le président détient l’arme absolue, mais ne peut s’en servir qu’à coup sûr. Il aura pour allié objectif le Rassemblement national qui fera tout pour éviter de repasser par la case élection avant le terme du mandat de 5 ans qui assure au parti une manne financière inespérée liée aux 89 députés du groupe d’extrême-droite, en commençant par ne pas voter la censure.