La fin et les moyens

C’est l’éternel débat. Le but poursuivi, quand il est noble, justifie-t-il l’utilisation de moyens contestables ? Vous avez 4 heures. Enfin, non, vous aurez deux heures et cinq minutes dimanche soir si vous décidez de regarder le magazine d’information de M6, Zone interdite, présenté par Ophélie Meunier et consacré à une enquête sur, je cite, les « scandaleuses défaillances de l’aide sociale à l’enfance » selon télé 7 jours. Pour allécher le chaland, nous avons eu droit à des extraits, ma foi bien croustillants, dans l’émission C à vous sur la 5.

Une journaliste, anonyme, mais à visage découvert, nous explique comment elle a pu se faire embaucher comme éducatrice remplaçante dans un foyer de l’ASE sans jamais qu’il lui soit demandé le moindre bout de papier attestant de ses compétences. Pas plus de diplôme exigé, ni d’extrait de casier judiciaire. Une pratique parfaitement anormale, qui permettrait à n’importe quelle personne mal intentionnée de s’introduire dans l’établissement sans le moindre contrôle. Des vidéos sont aussi diffusées, qui ont été filmées au téléphone portable et qui révèlent des problèmes de perte de contrôle à l’égard d’une mineure de l’établissement, cependant que des témoignages recueillis sans l’assentiment de leurs auteurs attestent de pratiques de prostitution de très jeunes filles au cours de fugues. Nous sommes d’accord. Cette situation est préoccupante et inadmissible. Cependant, la pratique de l’infiltration utilisée par des journalistes pour mettre à jour des comportements problématiques me choque. À mon sens, elle jette le discrédit sur les intentions de leurs auteurs et commanditaires.

Si, officiellement, il s’agit de dénoncer pour tenter d’améliorer les situations, on peut légitimement s’interroger pour savoir si le but ultime n’est pas tout simplement de faire de l’audience. Sachant que M6 et TF1 se livrent à une guerre commerciale sans merci et qu’ils semblent prêts à tout pour décrocher des parts de marchés, faisant grimper les prix des spots publicitaires à grands coups de programmes racoleurs. Le filon de l’enfance maltraitée parait inépuisable et inattaquable moralement. D’ailleurs, France 3 traitait déjà le sujet il y a tout pile un an, provoquant la nomination d’Adrien Taquet au poste créé pour l’occasion de Secrétaire d’État à la protection de l’enfance. Et M6 avait également diffusé un reportage sur la maltraitance infantile le 8 avril 2018. Il est certain que le chantier est immense et qu’il ne date pas d’hier. Les foyers de l’ASE ne sont généralement que des pis-aller, même quand leurs personnels sont qualifiés. Les familles d’accueil sont trop peu nombreuses pour qu’on puisse être très exigeants avec elles. Et surtout, les effectifs dans tous les échelons de la chaîne supposée traiter le problème sont notoirement insuffisants, ce qui aboutit à l’inexécution des mesures d’assistance éducative quand elles sont enfin décidées. Question de moyens.