Tout est perdu…

Fors la Légion d’honneur ! Pour vous dire le fond de ma pensée, cette récompense a déjà à mes yeux aussi peu de rapport avec l’honneur que la musique militaire en a avec la musique. Il n’en demeure pas moins qu’élever Jean-François Cirelli, président de BlackRock France au grade d’officier de la Légion d’honneur, précisément au moment où le projet de réforme des retraites crée une énorme opposition et où les salariés menacés sont dans la rue et s’apprêtent à y retourner, ne peut qu’apparaitre comme une provocation.

BlackRock symbolise le capitalisme triomphant qui gère les fonds de pension de la terre entière, qui a donc tout à gagner à l’instauration d’une retraite par points qui incitera les gros salaires dont les cotisations seront plafonnées à 10 000 euros mensuels, à souscrire des assurances volontaires pour compléter les retraites « de base ». Jean-François Cirelli se défend d’avoir inspiré le système au gouvernement actuel, mais n’a pas caché sa satisfaction devant les mesures d’incitation fiscales ouvertes par la loi Pacte. Si une obscure secrétaire d’État, dont j’ai déjà oublié le nom, a qualifié le marché français des retraites de « smarties », c’est qu’elle mésestime l’avidité des financiers qui ne négligent aucune recette, si infime soit-elle, c’est même de cette façon qu’ils sont devenus aussi riches et comptent bien ratisser le moindre euro disponible. Hors de question qu’ils négligent un marché de 30 milliards actuellement, dont ils espèrent la fructification. Pas mal, pour des smarties. Et ne croyez pas que cette promotion soit le fruit d’un hasard malheureux. Son nom a été proposé par le Premier ministre, examiné par le Conseil de l’ordre de la Légion d’honneur, et ratifié par le président en personne. Il semblerait que des conseillers aient attiré l’attention sur les difficultés que ne manquerait pas de soulever cette promotion, et par conséquent la signification d’un arbitraire absolu que cela confère à la décision présidentielle.

L’autre message du pouvoir en place, outre qu’il fait exactement ce qui lui chante, nonobstant les retombées prévisibles, c’est que l’étiquette de président des riches, si elle a gêné un temps l’ancien serviteur des banques, ne semble plus lui poser de problèmes. Sa proximité avec les milieux de la finance ne le dérange visiblement pas. Et après tout, ce sont bien ces cercles qui ont financé sa campagne et lui ont permis d’accéder au pouvoir. Rien d’étonnant à ce qu’il leur renvoie l’ascenseur. C’est quand même assez amusant de constater que l’ancien haut fonctionnaire passé au secteur privé attache une certaine fierté de ce colifichet inventé par Napoléon pour donner un os à ronger à ses vassaux. Il pourrait s’interroger sur la présence à ses côtés de Gilbert Montagné, une personne certainement estimable, mais dont les mérites sont assez confidentiels.