Ma moitié de verre

Le verre est-il plein ou vide dans le jugement concernant le harcèlement moral à France Télécom entre 2006 et 2011 ? Le verdict, qui est tombé hier, condamnant l’entreprise, devenue depuis Orange, à une amende de 75 000 euros et deux de ses dirigeants de l’époque à un an de prison dont 8 mois avec sursis et 15 000 euros d’amende constitue à la fois une victoire symbolique et une peine dérisoire au vu de la gravité des faits qui sont reprochés.

19 employés avaient mis fin à leur jour à la suite du harcèlement mis en place par France Télécom pour les inciter à quitter l’entreprise « de leur propre gré ». Le PDG, Didier Lombard, s’était de surcroît montré particulièrement cynique et maladroit en qualifiant ces drames « d’une mode des suicides », alors qu’il avait averti les cadres qu’il comptait bien opérer les « départs, par la fenêtre ou par la porte », une phrase malheureuse quand on sait que certains suicides ont eu lieu par défenestration. Une simple « gaffe », dira-t-il au procès, démontrant qu’il n’avait toujours pas réalisé la gravité de ses actes, pouvant relever au minimum de l’homicide par imprudence, ou pire encore, si l’on se place du côté des victimes et de leurs ayant-droits. Sa décision de faire appel de ce jugement, qui fera date sur le principe, mais qui est finalement assez clément dans les faits puisqu’il n’ira probablement pas en prison pour une peine de 4 mois fermes, atteste qu’il est toujours inconscient des dégâts qu’il a commis.

À l’inverse, la décision de Stéphane Richard, actuel PDG d’Orange, de ne pas faire appel, témoigne du soulagement devant la clémence du tribunal et la faiblesse de l’amende réclamée à un groupe qui a dégagé un bénéfice net de près de 2 milliards en 2018. Des résultats positifs qui ont été obtenus sur le dos des salariés de l’entreprise après la privatisation. Le PDG voulait supprimer 22 000 postes, muter 14 000 personnes et embaucher 6 000 « nouveaux talents » qui seraient à la main du patron. Il sacrifiera autant de salariés que nécessaire pour parvenir à ses fins. À ce stade, ce n’est plus de l’autoritarisme, mais du crime organisé. Didier Lombard s’entête, malgré les premiers suicides, dans ce plan diabolique pour obtenir des résultats coûte que coûte. Une stratégie très bien rémunérée : en 2009, il a touché 1 587 992 euros pour ses bons et loyaux services. Il devra cependant quitter l’entreprise sans bénéficier des 21 mois de prime de départ prévue devant le scandale que ces indemnités auraient causé. De voir un tel criminel s’en tirer avec une sanction aussi minimale ferait presque compatir au sort de Patrick Balkany, qui, certes, mérite largement sa peine, mais n’a cependant, à ma connaissance, tué personne.