Sauce anglaise

Si le Royaume-Uni n’est définitivement pas le berceau de la gastronomie, on croyait jusqu’à présent qu’il pouvait être cité en exemple d’un certain type de fonctionnement démocratique. Une monarchie, assurant la pérennité des institutions, tempérée par un bicamérisme d’école, avec une Chambre des communes, représentant le peuple et une Chambre des Lords, représentant l’aristocratie. Le tout fleurant bon le 18e siècle avec une tradition d’équilibre des pouvoirs. Bon, concédons que tout ça ne marchait déjà que cahin-caha, au gré du jeu des alternances entre conservateurs et travaillistes.

Cependant, l’irruption du trublion Boris Johnson dans le jeu de quilles britannique est en passe de semer une pagaille monstre dans un imbroglio déjà inextricable. Le Premier ministre a demandé à la reine de suspendre les travaux du Parlement, qui s’apprête à faire sa rentrée mardi prochain, dès le 9 septembre et jusqu’au 14 octobre, dans le but évident de court-circuiter les débats sur le Brexit et forcer à une sortie sans accord à la date butoir du 31 octobre. Cette demande n’est pas anticonstitutionnelle en elle-même, mais le choix des dates prouve à l’évidence les intentions anti démocratiques du Premier ministre. Habituellement, c’est la procédure inverse qui est demandée par le gouvernement : il propose à la Reine de prolonger la session parlementaire, sous forme d’une prorogation. Tant et si bien que pour le grand public et pour une bonne partie de la presse inculte, le mot prorogation est devenu synonyme de suspension, ce qui, vous l’avouerez, ne contribue pas à un éclaircissement du sujet.

Boris Johnson affiche publiquement sa conviction de pouvoir forcer l’Union européenne à négocier un accord favorable à son pays, considérant que l’Europe a plus à perdre que le Royaume-Uni dans une sortie « sèche ». À supposer qu’il le croie vraiment, à mon avis il se trompe, mais le Parlement a déjà refusé par 3 fois de ratifier l’accord accepté par Teresa May, tout en refusant un Brexit sans accord. Il compte donc le mettre devant le fait accompli et l’obliger à choisir la seule décision possible, faute de temps. Il a déjà choisi son camp, et depuis longtemps : celui du départ en feignant de croire que les Européens « caleront » au dernier moment, ou que l’oncle Donald lui portera secours, ce en quoi il se fait des illusions. Boris Johnson est un animal politique. Sa seule ambition est de se maintenir au pouvoir coûte que coûte et que Dieu sauve la reine. S’il faut sacrifier la démocratie sur l’autel de ses ambitions personnelles, il n’hésitera pas un instant. Pour l’instant, il faut survivre et, comme à Wimbledon, obliger l’adversaire à faire le coup de raquette supplémentaire en escomptant la faute.