Ça eut payé !

C’était le leitmotiv d’un sketch de Fernand Raynaud qui mettait en scène un « pauvre » paysan, énumérant ses diverses cultures, dont certaines lui ont rapporté un peu, mais qui ne paient plus. À l’objection qui lui est faite qu’il n’a rien à débourser puisque tout est produit sur place, il oppose la dépense incontournable, celle du sel qu’il est bien obligé d’acheter. La dernière mésaventure de Carlos Ghosn m’a fait penser à ce personnage caricatural créé par l’humoriste aujourd’hui tombé dans l’oubli.

Figurez-vous que l’ex-PDG de Renault a omis de régler la somme de 50 000 euros pour la location du Grand Trianon de Versailles dans lequel il a célébré son mariage en 2016, pour la simple et excellente raison qu’il a cru « que c’était gratuit ». C’est tout bête, personne ne lui a présenté de facture, sinon, vous pensez bien, il se serait fait un devoir de payer le sel, compte tenu de tous les avantages dont il a bénéficié depuis qu’il est aux commandes du géant automobile qu’est le groupe Renault-Nissan-Mitsubishi. D’ailleurs, il est prêt à réparer cet « oubli ». On ne va quand même pas se fâcher pour si peu, alors qu’il est question de ce que les Américains appellent « real money », qui se chiffre en millions d’euros. On peut même dire que sur Versailles, Carlos ne s’est pas montré particulièrement gourmand. En effet, la convention de mécénat signée par Renault pour un montant de 2,3 millions permettait des contreparties à hauteur de 25 %, soit 575 000 euros. Il a donc été très raisonnable en ne prenant « que » 50 000 euros. Il reste évidemment que certains « crève-la-faim » pourront s’étonner que ce soit le PDG, à titre personnel, pour un évènement on ne peut plus privé, sauf à considérer que le mariage du patron concourt au prestige de la marque, qui bénéficie des largesses de l’entreprise.

Quand on parle de l’avidité et de la soif de richesse de certains dirigeants, on n’imagine pas qu’ils soient capables de mesquineries sur des sommes apparemment négligeables, au regard des montants faramineux brassés par les rémunérations, fixes et variables, les retraites chapeau, les parachutes dorés, les primes de bienvenue et de départ, les actions gratuites ou à vil prix. Eh bien, ces gens-là n’en ont jamais assez. Ils sont capables de ramasser la monnaie laissée en pourboire avant de partir, on se demande bien pourquoi, étant donné qu’ils ne paient jamais rien sur leurs propres deniers. Pour eux, un portefeuille ne sert qu’à collectionner les actions et les obligations, et ils ignorent le prix de la baguette de pain et du ticket de métro. Carlos Ghosn est très loin d’être le seul dans ce cas, mais on dirait qu’il va payer pour tout le monde, avec son tempérament, sinon en espèces.