La raison du plus fort

Sera-t-elle toujours la meilleure ? Le magazine d’information de M6, Capital, révèle que la multinationale américaine Amazon, détruit des millions de produits invendus tout à fait utilisables, organisant ainsi un gaspillage à grande échelle extrêmement choquant. Cette gabegie s’étend des couches pour bébés, qui font cruellement défaut à certaines familles pour lesquelles les associations humanitaires organisent des collectes, jusqu’à des produits de luxe comme des téléviseurs. En cause le système de la plateforme Market place, où les entreprises tierces entreposent leurs produits en vue de leur expédition, et devraient théoriquement les récupérer en cas de non-vente.

La logique économique pure et dure conduit à la destruction de ces stocks, compte tenu des coûts de transport et de stockage. Cela rappelle fâcheusement les pratiques de la grande distribution sur les denrées alimentaires. Jusqu’à il y a peu, non seulement les produits proches de la date de péremption devaient être jetés, mais très souvent ils étaient dénaturés de manière à devenir impropres à la consommation alors qu’ils étaient parfaitement sains. La raison invoquée en était le risque sanitaire d’intoxication alimentaire, mais la réalité c’était le principe de non-concurrence que le magasin se serait faite à lui-même. Comme pour les consommables, la législation française devrait évoluer pour contraindre Amazon, et les autres, à s’organiser pour valoriser ces invendus, par exemple en les donnant à des associations.

Car, au fond, cette pratique n’est pas très éloignée de celle des camelots de mon enfance, qui vendaient de la vaisselle ou du linge sur la place publique dans les marchés. Les tissus étaient volontairement souillés pour justifier les prix outrageusement bradés, selon le bonimenteur, pour déclencher un réflexe d’achat. Mais le plus efficace, c’était la menace de casser la vaisselle si elle ne trouvait pas preneur. Le camelot n’hésitait pas à sacrifier quelques assiettes, provoquant les cris horrifiés de la foule, outrée de ce sacrilège, jusqu’à ce qu’un « baron » sorte le gros billet pour acquérir le premier service à prix « cassé » et entraîne avec lui quelques gogos. Il ne faut pas oublier que si Amazon peut pratiquer des tarifs aussi attractifs, allant jusqu’à « offrir » le port, même quand il dépasse la valeur du produit proprement dit, c’est parce qu’il se paie sur la bête, en ne versant que peu ou pas d’impôts aux pays dans lesquels il exerce son activité. Sur plus de 21 milliards d’euros de chiffre d’affaires réalisés en Europe, Amazon ne déclarait en 2016 que 60 millions de bénéfice sur lesquels il payait un peu plus de 16 millions d’impôts, une misère. Tant que les états européens se feront concurrence fiscalement, ils seront démunis devant les grands groupes issus de l’économie numérique. Un bien mauvais calcul à court terme, qui profite aux multinationales.