Bonne chère et peu d’argent

Comme si l’équation n’était pas assez difficile, juste avant que le Premier ministre se lance dans la résolution de la quadrature du cercle que constitue tout budget de la Nation en période de vaches maigres sans mécontenter tout le monde et son père, le Président de la République a annoncé qu’il fallait charger encore plus la barque pour rallonger le budget de la Défense, sans amputer celui des autres postes, déjà introuvables. Une situation qui me rappelle imparablement celle mise en scène par Molière dans sa pièce, « l’Avare », avec des nuances, cependant.

À l’acte III, Harpagon, alias Macron, demande à son fidèle cuisinier, Maitre Jacques Bayrou, de lui préparer un banquet et s’enquiert de la qualité du souper : « nous feras-tu bonne chère ? » à quoi répond le factotum de service : « oui, si vous me donnez bien de l’argent ». Mais le président est bien au-dessus de ces basses considérations matérielles. Il écoute ses conseillers, qui, tel Valère dans la pièce, lui suggèrent de promettre bonne chère avec peu d’argent. La France s’est déjà engagée à réduire son déficit à peau de chagrin malgré une croissance atone sans augmenter les impôts, sous-entendu des riches. Désormais, il va falloir mettre les bouchées doubles, c’est le cas de le dire pour multiplier le budget de la défense par deux dans un temps record, trois ans plus tôt que prévu, quoi qu’il en coûte aux Français, et sans accroître la dette. À part « l’argent magique » que l’on n’aurait qu’à se baisser pour le ramasser quand on le largue de l’hélicoptère, je ne vois pas quelle solution concrète apporter à cette situation.

Habituellement, la préparation du budget consiste à attribuer un montant global à chaque ministère, avec des priorités rationnelles, dans le meilleur des cas. Chaque ministre tentant de grappiller des crédits supplémentaires pour bien montrer qu’il a été actif et que les coupes qui ne manquent pas de s’ensuivre ne sont pas de son fait. Au bout du bout, c’est le sommet de l’exécutif qui est supposé arbitrer entre les demandes impossibles à satisfaire en l’état. Avec Emmanuel Macron, la nouveauté c’est qu’il se met sur les rangs de ceux qui quémandent et non en posture d’arbitre. Le manque de majorité, à l’Assemblée nationale et dans le pays, y est sûrement pour quelque chose. Le résultat prévisible sera le recours habituel au fameux article 49 alinéa 3, qui finira bien, un jour ou l’autre, par déboucher sur la censure et la fin de la parenthèse Bayrou, pour ajouter de l’incertitude à l’incertitude. Il ne restera plus au président qu’à retrouver un Maître Jacques pour finir cahin-caha un quinquennat bancal, en suggérant aux Français mécontents de faire leur la maxime applaudie par Harpagon : « il faut manger pour vivre, et non vivre pour manger » tout en dansant devant le buffet.