Les nouveaux centaures

Dans la mythologie grecque, les centaures étaient des créatures fabuleuses, mi-hommes, mi-chevaux, possédant le torse d’un humain sur un corps d’équidé. Depuis cette époque, quand on est un cavalier émérite, on donne l’illusion de ne faire qu’un avec sa monture. Une impression qui s’est étendue à la conduite d’une motocyclette, certains motards semblant faire corps avec leur machine, comme dans la chanson d’Édith Piaf, l’homme à la moto. Dans notre monde moderne développé, ce sont les voitures qui ont pris le relai et l’actualité récente illustre cette osmose de façon tragique.

Les voitures automobiles sont utilisées comme des armes pour faire le plus de dégâts possible comme à Charlottesville la semaine dernière, quand un homme lié à l’extrême droite américaine a foncé dans la foule de manifestants protestant contre les suprématistes blancs. La voiture a été ici utilisée comme un prolongement du corps du conducteur, à l’abri de laquelle il pouvait tuer ou blesser sans en subir la conséquence immédiate et lui donnant l’illusion de la toute-puissance. C’est la même technique qui a été utilisée pour les attentats terroristes de Nice, de Berlin ou de Londres avec des engins plus lourds et plus massifs.

Pour des motifs apparemment très différents, c’est encore avec une voiture qu’une adolescente de 13 ans a été tuée dans une pizzeria de la région parisienne, blessant grièvement également 12 autres personnes. La piste terroriste étant écartée, il est possible que l’homme de 31 ans qui conduisait la grosse berline allemande ait eu l’intention de se donner la mort. Il aurait indiqué avoir fait récemment une tentative de suicide, mais les enquêteurs n’en savent pas davantage pour l’instant. Cette hypothèse me semble toutefois sérieuse, car elle correspond à des mécanismes à l’œuvre dans les comportements suicidaires. Le mode opératoire d’abord, qui suggère que le suicidaire, quel que soit son degré de sincérité dans ses intentions, s’est donné une forte chance de réchapper à son geste et n’a pas choisi le moyen le plus « efficace », comme s’il s’en remettait au hasard ou à la chance, pour son usage exclusif, hélas. Ensuite, l’annulation du monde extérieur. Beaucoup de suicidaires ont le désir de faire disparaitre ce qui les entoure, et parfois jusqu’à leurs proches, comme s’il ne suffisait pas qu’ils disparaissent eux-mêmes, mais qu’ils voulaient faire en sorte que leur entourage n’existe plus, voire, n’ait jamais existé. Un suicide comme une forme de punition de ceux qui restent. Dans ce cas précis, l’individu a foncé délibérément dans le restaurant, mais on peut voir dans le comportement routier de certains conducteurs des traits suicidaires sous forme de prises de risque inconsidérées. Où l’on retrouve la toute-puissance et le défi de ces nouveaux centaures.