La démocratie selon Lincoln

Selon la célèbre formule d’Abraham Lincoln prononcée à Gettysburg en 1863, la démocratie est le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple. Une définition à laquelle bien peu de régimes dans le monde et au fil du temps ont véritablement su répondre. J’ai bien peur que la France de 2017 ne soit pas mieux placée que tant d’autres pour satisfaire à ces critères, et pour plusieurs raisons. Sans chercher à définir précisément ce que serait le peuple, on pourrait espérer qu’il soit représenté dans toute sa diversité par les députés chargés de voter les lois et de contrôler le pouvoir exécutif.

Les élections ne sont certes pas terminées, et il peut y avoir encore, à la marge, des ajustements, mais les grandes tendances sont bel et bien là. Le mouvement du président sort vainqueur de cette compétition et de nombreux nouveaux élus issus de ses rangs vont siéger à l’Assemblée nationale. Or, depuis les investitures distribuées par le mouvement En marche, on connait la sociologie des candidats intronisés par Emmanuel Macron. Comme promis, il y a beaucoup de jeunes et de femmes, et ça c’est plutôt bien. De là à dire que les catégories socioprofessionnelles ont une représentation équitable, on est loin du compte. Pour être investi, il valait mieux être cadre, ou avoir un métier intellectuel, et un tiers des candidats possède sa propre entreprise. La moitié des impétrants a fait des études supérieures et un bon nombre est diplômé des hautes écoles. Par parenthèse, le critère de « société civile » a été survendu, car beaucoup de ces « novices » sont passés par des cabinets ministériels ou ont côtoyé des parlementaires.

Donc, le candidat type de la République en marche est issu des CSP plus, ou même plus plus, comme on dit dans le jargon, et assez souvent teinté de la culture start-up. On ne sera pas surpris qu’il soit soutenu prioritairement par un électorat éduqué et aisé. Il réalise son meilleur score (43 %) auprès des électeurs dont le revenu par foyer atteint ou dépasse 3000 euros mensuels. Il rattrape et dépasse la droite classique chez les retraités, traditionnellement attachés aux mouvements conservateurs. Il ne doit cependant son succès massif qu’à la démobilisation des électorats concurrents, qui ont en grande partie baissé les bras en se réfugiant dans l’abstention et en considérant que l’élection présidentielle ayant livré son verdict, la bataille législative était devenue secondaire. Si j’observe bien ces phénomènes, nous sommes assez loin d’une démocratie, telle que nous pourrions la rêver dans un monde plus juste et plus solidaire, et nous nous rapprocherions davantage d’une oligarchie, où le peuple, par lassitude, abandonne ses prérogatives à une petite classe de privilégiés. Puisse-t-il ne pas trop le regretter.