L’homme qui ne voulait pas être aimé

« Je ne vous demande pas de m’aimer, je vous demande de me soutenir ». Que François Fillon se rassure, je ne l’aime pas. Pour être tout à fait franc, cela ne date pas d’aujourd’hui. Même avant d’apprendre les scandales dont il a été le principal bénéficiaire, je dois admettre qu’il avait déjà droit à toute mon antipathie du fait de la politique qu’il a menée en pleine harmonie avec son « patron », Nicolas Sarkozy, qui le traitait volontiers de collaborateur, en négligeant de souligner le zèle coupable dont il faisait preuve.

Je ne saurais oublier qu’entre autres vilénies, il a « sauvé » le régime des retraites sur le dos des salariés, et servi la soupe au Medef qui n’en espérait pas tant. Par certains côtés, il me rappelle aussi le personnage principal de ce film de Stéphane Brizé, « je ne suis pas là pour être aimé », interprété par Patrick Chesnais, qui traine sa mélancolie dans une existence terne. Toutefois, l’acteur, à la différence du politique, réussit à rendre le rôle attachant et même touchant. Quand Fillon déclarait qu’il était à la tête d’un état en faillite, on était tenté de le comparer à Droopy et l’on n’avait pas envie de le plaindre, mais plutôt de le blâmer pour en rajouter encore sur la sinistrose ambiante qu’il avait largement contribué à installer. Alors que Chesnais conserve une petite étincelle au coin de l’œil qui montre qu’il n’est pas dupe de lui-même et qu’il ne fait que pousser au bout cette tendance mélancolique qui sommeille en chacun de nous.

Parce que Monsieur Fillon n’est pas et ne sera jamais comme nous, et j’espère de tout cœur ne jamais devenir comme lui. Quand on a des revenus aussi conséquents que les siens, que l’on se fait offrir des cadeaux luxueux par des amis, que ce soient des costumes d’un prix exorbitant ou des montres de luxe, on ne devrait pas avoir l’indécence de déclarer ne pas pouvoir mettre de l’argent de côté. J’ai le sentiment que beaucoup de petites gens, et même de plus aisés, n’ont pas tiré un trait définitif sur une certaine morale dans la gestion des affaires publiques. Et même si leurs convictions ne les incitent pas forcément à voter à gauche, ils ne se résignent pas à passer l’éponge, ce qui n’est que justice. Quant à le soutenir, au simple motif d’un programme économique supposé redresser la France, ce sera sans moi, et je l’espère sans la plus grande partie de Français, qui ont déjà donné avec le gaullisme, le giscardisme, le chiraquisme, le sarkozysme, sans voir leur situation s’améliorer franchement. On peut largement faire l’économie du fillonisme.