Démocratie à géométrie variable

Voilà bientôt 5 ans que le gouvernement français a fait adopter la ratification de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada par une Assemblée nationale à l’époque majoritairement acquise à sa cause, mais qu’il a omis sciemment de présenter le texte au Sénat, contrôlé par le parti Les Républicains, en espérant des jours meilleurs. Le gouvernement était d’autant moins pressé que le traité pouvait s’appliquer provisoirement, et que nous sommes les spécialistes du provisoire qui dure, si l’on en juge par l’état de nos routes secondaires par exemple. Le CETA était donc tombé gentiment dans l’oubli, jusqu’à ce que la contestation paysanne le remette sous les feux de la rampe.

Une occasion saisie par le parti communiste français qui en profitait pour le mettre à l’ordre du jour du Sénat pendant sa « niche parlementaire », et obtenait un rejet du texte, par la coalition d’oppositions disparates. Apparemment, la plupart des sénateurs ne voulaient pas assumer de soutenir un traité rejeté massivement par les paysans. Le texte doit donc retourner devant l’Assemblée, et les députés pourraient bien réagir comme les sénateurs et infliger au président Macron un nouveau camouflet du plus mauvais effet pour les élections européennes, où sa liste est déjà largement distancée. Il serait donc urgent d’attendre selon le gouvernement, mais le PCF prévoit de saisir l’Assemblée le 30 mai, pour sa nouvelle « niche » permettant à l’opposition de définir l’ordre du jour. Si l’Assemblée rejette le texte, ce qui semble probable puisque le président n’y a pas de majorité absolue, l’affaire ne sera pas close pour autant, car il faudrait encore que le gouvernement français notifie cette décision à Bruxelles, ce à quoi rien ne l’oblige. Il existe un précédent avec Chypre qui a rejeté le traité en 2020, mais n’a pas transmis officiellement la décision, ce qui permet l’application « provisoire » du traité sine die, à Chypre et dans l’ensemble de la Communauté.

En pratique, on voit bien que le traité de libre-échange a été bâti par des technocrates et qu’il ne présente d’intérêt que pour quelques grands groupes industriels et agroalimentaires. Il présente par ailleurs de sérieux inconvénients du point de vue des petits producteurs qui subissent de plein fouet une concurrence, tout sauf loyale et non-faussée. La ratification par les états membres devait être de pure forme, mais la contestation et l’exercice démocratique se sont faufilés dans les interstices laissés par les négociateurs, comme au moment du traité de 2005, mis à la porte des nations et rentré par la fenêtre, contre l’avis des peuples. Outre la France, neuf autres pays n’ont pas encore ratifié le traité, qui continue cependant à s’appliquer pour la plus grande part, au mépris de l’avis des populations concernées. Cette seule observation devrait suffire à dénoncer un déni de démocratie qui discrédite nos dirigeants.