Maître Jacques et Harpagon

L’annonce du déficit public officiel pour l’année 2023, qui s’établit à 5,5 % du produit intérieur brut, a constitué un démenti cinglant à l’optimisme de circonstance affiché par Bercy, qui avait tablé sur 4,9 %, déjà très au-dessus de la barre fatidique des 3 % qui est toujours l’objectif du gouvernement, qu’il espère contre toute vraisemblance atteindre en 2027. Pourquoi ne peut-on pas croire sur parole Bruno Le Maire quand il affirme que nous pouvons y parvenir sans augmenter les impôts ? Peut-être parce que nous sommes un peuple cartésien et que nous ne voyons pas comment ce qui n’a pas été possible jusqu’à présent le deviendrait sans un renversement de la logique pratiquée par le ministère de l’Économie.

« Faire bonne chère avec peu d’argent », tel est le défi imposé au factotum d’Harpagon dans la pièce de Molière, et qu’il ne peut bien entendu pas relever. Ce qui est sous-entendu à travers le discours officiel, c’est que les déficits sont imputables aux maitres Jacques du bas de l’échelle sociale, les exécutants qui ne réussissent pas à faire les économies attendues et qui en veulent toujours plus. Un bon exemple en est la gestion des établissements d’hébergement pour les personnes âgées dépendantes, dont la situation catastrophique a été mise en évidence dans plusieurs scandales récents. On sait que le déficit de soin que l’on constate, voire les maltraitances, trouve son origine dans le manque criant de personnel, mesurable par le taux d’encadrement actuellement autour de 6 pour 10 résidents en moyenne en France, alors qu’il faudrait au minimum 8 soignants pour 10 patients. Les Agences régionales de Santé ont lancé un vaste programme d’inspections systématiques de ces établissements, alors que ce problème, clairement identifié, doit être résolu par une politique budgétaire définie à l’échelon national, et que les finances des EHPADS sont soumises à un prix de journée, comprenant le poste du personnel, défini par l’état.

Il faudrait donc débourser des sommes considérables, simplement pour conserver le niveau actuel de prestations, très largement insuffisant, et plus encore pour atteindre un minimum que nous devons aux plus anciens qui n’ont pas mérité ces maltraitances indignes d’un pays qui se dit civilisé. Et le raisonnement est le même dans beaucoup de secteurs. Le refus obstiné de toucher au premier centime des privilégiés, qu’ils soient des professionnels ou des particuliers, qui se traduit par le slogan « aucun impôt supplémentaire » engendre mécaniquement, par le jeu de l’inflation, une réduction du pouvoir d’achat des Français, ce qui n’est rien d’autre qu’un impôt déguisé, et sans aucun amortisseur social. Non seulement notre société devient de plus en plus inégalitaire, mais elle est également de moins en moins efficace, avec des conséquences sur la vie quotidienne des plus défavorisés. Le Maitre Jacques de Bercy prétend toujours pouvoir faire des miracles, mais l’Harpagon de l’Élysée tient les cordons de la bourse bien serrés.