Le cancre

Tout le monde connait ce poème de Prévert, qui glorifie celui qui pense « de travers », au lieu de filer droit, qui dit « oui » à ce qu’il aime et « non » au professeur. Les enfants de nos banlieues sont parfois comme ce cancre, dont les institutions attendent un comportement exemplaire, et notamment une obéissance aveugle aux injonctions des forces de l’ordre, quels qu’en soient les motifs. J’ai bien cherché, mais en vain, pour quelle raison impérieuse il était si nécessaire de contrôler immédiatement Wanys, 18 ans, qui circulait à Aubervilliers sur son scooter, accompagné d’un autre jeune, et qui perdra la vie dans la course poursuite qui a suivi son refus d’obtempérer.

Vous me direz que si une personne prend la fuite, on peut supposer qu’elle n’a pas la conscience tranquille. De là à mourir pour un délit qui n’est pas nécessairement constitué, c’est pour le moins excessif. Le fond du différend est généralement une méfiance réciproque des policiers ou gendarmes d’une part, et des habitants d’un quartier ou d’une ville d’autre part. À tort ou à raison, et du fait d’antécédents entre les protagonistes, des personnes, le plus souvent jeunes, sont suspectées a priori d’avoir commis des délits et sont considérées comme des coupables probables, jusqu’à preuve du contraire. Les délinquants présumés craignent des contrôles abusifs et préfèrent la fuite au risque d’un traitement basé sur leur apparence physique, leur « faciès » selon l’expression consacrée. Le paradoxe, c’est que leur tentative d’échapper aux forces de l’ordre entraîne une prise de risque pour tout le monde, y compris eux-mêmes, alors qu’une des raisons de ces poursuites consiste précisément à éviter des accidents liés à la vitesse ou au non-respect du Code de la route.

Le résultat le plus visible, c’est un gâchis où la réputation de la police sort mise à mal pour un constat d’échec. La population sera tentée d’accuser les forces de police d’avoir provoqué sciemment les collisions, comme en témoignent les émeutes au commissariat de La Courneuve où vivait Wanys, en guise de représailles. Les affaires n’ont pas le temps de cicatriser qu’un nouveau drame survient, et ce n’est pas une répression accrue qui règlera le problème. Il me semble urgent de réformer le système de maintien de l’ordre, non par une tolérance envers les grands délinquants, mais dans une meilleure connaissance du terrain qui permettrait de retrouver après coup des personnes suspectées, sans engager de véritables rodéos urbains avec tous les risques que cela comporte. Il faudrait peut-être remplacer cette notion de « refus d’obtempérer », un peu fourre-tout et très arbitraire, par une notion plus souple n’entraînant pas automatiquement des procédures aussi lourdes. La loi serait d’autant plus efficace qu’elle serait plus compréhensible.