Vers une « paix russe » ?

Pour nous, le résultat des élections présidentielles en Russie et le triomphe du tsar autoproclamé Vladimir Poutine sont tout sauf une surprise. Et cependant, il est annoncé et célébré par le pouvoir russe comme s’il s’agissait d’un scrutin sincère et d’une victoire conquise de haute lutte sur une opposition pourtant presque totalement bâillonnée. Selon la formule d’Alexandre Soljenitsyne, toujours d’actualité : « nous savons qu’ils mentent, ils savent aussi qu’ils mentent, ils savent que nous savons qu’ils mentent, nous savons aussi qu’ils savent que nous savons, et pourtant ils continuent à mentir ».

C’est que cette fiction à usage interne revêt en réalité un intérêt primordial pour Vladimir Poutine qui ne veut aucune forme de contradiction de son pouvoir absolu et de sa légitimité, pour continuer son programme expansionniste en étendant sa zone d’influence « de Lisbonne à Vladivostok ». Le vice-président de la Douma, la chambre des députés russes, Mr Tolstoï, pas Léon, hein, Piotr, son arrière-petit-fils, s’est même permis d’ironiser sur la propagande occidentale qui aurait renforcé la popularité de son chef bien-aimé par effet de repoussoir. La stratégie russe sur le front de la communication est simpliste et transparente. Il suffit de renverser le point de vue pour rétablir la vérité. S’ils accusent les Occidentaux de mensonge, c’est pour camoufler maladroitement le fait qu’ils mentent eux-mêmes, en premier lieu à leur opinion publique. S’ils font des victimes civiles au mépris de toutes les règles humanitaires, ils accusent immédiatement l’ennemi d’en être à l’origine, et ainsi de suite. Le cynisme de Poutine, commentant la mort de Navalny d’un laconique « c’est la vie », ne connait pas de limites.

Dans ce contexte, la position d’Emmanuel Macron, fraîchement converti à la fermeté envers le régime autocratique russe, peut paraître justifiée, en n’excluant pas d’intervenir directement en Ukraine, y compris en y envoyant des ressortissants ès qualités prêter main-forte à l’armée ukrainienne. Un tel appui ne permettrait pas de changer le sort de la guerre, mais pourrait nous entraîner dans un conflit généralisé encore plus désastreux et meurtrier. Le pouvoir russe brandit régulièrement la menace nucléaire et personne ne peut affirmer avec certitude qu’il s’interdira l’usage des pires armes que l’homme a inventées. Le seul rempart contre cette sinistre éventualité est en effet la dissuasion, mais elle ne peut se concevoir que dans une coalition la plus large possible. Par sa démarche volontariste, visant à entraîner les pays occidentaux dans une position offensive vis-à-vis de la Russie, Emmanuel Macron prend le risque de discréditer l’éventualité de sa propre hypothèse et de la rendre impossible à réaliser de fait. Ces gesticulations du président français tentent probablement de masquer la réalité : une impuissance du plus mauvais effet à l’orée d’une campagne électorale pour les Européennes.