Derrière les victoires

On a toutes raisons de se réjouir de cette journée du 8 mars, à la fois, inscription dans la constitution du droit à l’avortement et rappel des droits de la femme.

Pourtant il y en a beaucoup pour rester la tête froide, pour rappeler toutes les menaces qui restent en suspens dans le monde entier pour le respect de ces deux grands principes.

En premier, pour ce qui est de la préservation du droit à l’avortement, car gravé dans la constitution solennellement, il serait fou d’oublier qu’une constitution ça peut se changer, et ce droit, disparaître. Ce n’est qu’une précaution de plus, elle est précieuse, mais pas suffisante.

L’inscription dans la constitution, ne changera pas que seulement 3 % des médecins gynécologues acceptent de faire l’interruption volontaire de grossesse, ce qui rend la réalisation du choix d’avorter très difficile, même si la loi du 26 janvier 2024 pour pallier ce déficit autorise les sages-femmes à pratiquer l’IVG.

Très centré sur les choix institutionnels, il aurait été bon au cours de cette journée, de rappeler une dimension morale et humaine de cette décision que prennent les femmes de décider une IVG. Je reprends les paroles de Simone Veil en 1975, à la tribune, pour défendre le droit des femmes à disposer de leur corps « avorter c’est toujours un drame, et ça restera toujours un drame ».

Personnellement, il m’est impossible d’oublier cette terrible journée de 1984, où grâce à la recommandation d’un ami médecin, j’ai pu dans un hôpital loin de la métropole nantaise où aucun gynécologue ne pouvait (comme par hasard) me recevoir avant un délai qui interdisait ensuite toute action, avoir subi un avortement légal, malgré son air clandestin, décidé après de difficiles réflexions. Ce fut un acte douloureux, sans empathie de l’équipe médicale, l’acte chirurgical était censé être suffisamment difficile pour nous faire hésiter à recommencer, et peut-être pour nous punir de notre liberté !

On se remet difficilement de ce choix, qu’il est impossible sur le moment de vivre comme une victoire, même s’il permet de conduire sa vie ensuite comme on le souhaitait ! je jure qu’il m’arrive souvent d’imaginer, de fantasmer cet enfant non venu, ce qu’il serait aujourd’hui, présent à mes côtés ! Dans ces moments-là, j’avoue que je me réjouis, que 22 ans plus tôt, en 1962, encore presque adolescente, il ne m’ait pas été possible d’interrompre une grossesse non voulue, qui a considérablement changé mon parcours d’étudiante. Elle m’a fait mettre au monde ma fille aînée, la prunelle de mes yeux sans qui je n’imagine pas ma vie, cette vie qui a parfois des ironies et des contradictions terribles !

Quant aux droits de la femme, il y a encore du chemin à faire, les discriminations à l’embauche, le sexisme, l’égalité des salaires par exemple, sont subies quotidiennement par un grand nombre de femmes, la recrudescence des féminicides, la difficulté de recevoir la parole des femmes violentées, prouvent que l’on subit encore souvent la suprématie masculine… le combat n’est pas fini, mais il paraît dérisoire dans nos sociétés occidentales, comparé à celui que doivent mener les femmes afghanes, iraniennes par exemple, musulmanes en général, qu’on assassine, qu’on emprisonne, qu’on muselle, et tant que toutes celles-ci n’auront pas le droit de disposer de leur corps et de leur parole, nos victoires auront un goût amer.

 L’invitée du dimanche